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de vaisseau et écrivain de talent, disait avec une courageuse franchise les fortes paroles que voici :

... « Ces cinq mois presque entiers ont été nécessaires pour combler le fossé que nous avions laissé creuser devant nos pas et remettre les choses comme elles eussent dû être au premier jour. Cinq mois pour improviser, pour réparer, pour rattraper. Nous avons appris l’essentiel de ce que nous ne savions pas, appris la guerre à l’école de la guerre, inventé, fabriqué, expérimenté le matériel manquant, discipliné et instruit le personnel. Maintenant nous pouvons avancer. Il n’a pas fallu, hélas ! moins que tout ce sang pour payer nos erreurs..., etc. »

Dans ces observations générales d’une si saisissante justesse, l’auteur englobait-il la Marine ? Je l’ignore. En tout cas, si elle n’était pas visée, elle a peut-être été atteinte. Non pas qu’on lui puisse expressément reprocher, comme à l’autre département militaire, de n’avoir pas créé en temps utile le matériel et les organismes nécessaires à la guerre moderne, ni de n’avoir pas institué les méthodes tactiques correspondantes, ni de n’y avoir point assoupli son personnel : non ! nous avions des sous-marins, — comment n’en eussions-nous pas eu, les ayant inventés depuis si longtemps ! — nous avions des mines sous-marines, — nous venions de trouver un modèle qui satisfaisait notre goût du parfait, — nous avions des mouilleurs et des dragueurs, — pas beaucoup, pas assez, ni complètement prêts, — nous avions même quelques hydroaéroplanes, — et l’on se rappelle peut-être les curieux subterfuges qu’un des chefs de la marine employait pour tâcher d’obtenir sur ce point des crédits un peu plus larges [1]... Et notre personnel technique était entraîné suffisamment, tandis que le gros des équipages voyait, à chaque sortie de nos escadres, des torpilleurs et des sous-marins attaquer les cuirassés. L’organisation existait donc, incomplète, peut-être, mais toute prête à se développer et qui a été développée, en effet. Non, ce qui manquait, c’était la foi dans ces engins, non pas tous nouveaux, certes, mais toujours suspects, toujours dédaignés. Ce qui manquait, c’était la vision nette, la claire prescience de ce qu’allait être la prochaine guerre navale. D’immenses et merveilleux navires, d’imposantes escadres, que dis-je ? des « armées navales » déroulant sur les

  1. Voyez la Revue du 1er août.