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grande partie à acheter des navires, à payer la mission militaire allemande à Constantinople, à équiper l’armée qu’on mettait sous les ordres d’un général prussien et qui ne devait pas tarder à être mobilisée contre nous. La Porte nous berna avec l’octroi de quelques concessions de travaux publics, plus profitables à l’empire ottoman qu’aux entrepreneurs français, et notre bel argent, qui eût si bien trouvé son emploi à l’intérieur de nos frontières, émigra sur les rives du Bosphore : Dieu sait quand il en reviendra ! L’imprévoyance de notre politique à cet égard contraste étrangement avec celle de l’empereur allemand, qui, déjà au moment d’Agadir, demandait aux financiers berlinois s’ils étaient prêts à la guerre, et, sur leur réponse négative, les invitait à s’y préparer. Depuis lors, la tendance de nos ennemis à rendre leur argent plus liquide, à s’abstenir de placemens étrangers, à réunir leurs ressources de façon à les avoir sous la main, a été manifeste. Il faut d’ailleurs ajouter qu’ils avaient fort à faire. Leurs industries s’étaient échafaudées à coups de crédit ; elles ne vivaient que grâce aux comptes que leur ouvraient les banques et dans lesquels elles puisaient largement : il était urgent de chercher à leur donner une base plus solide.

En France, au contraire, la plupart des entreprises minières, métallurgiques, manufacturières, ont, de longue date, su se constituer des réserves importantes, prélevées sur les bénéfices, et qui sont une aide puissante pour traverser les mauvais jours. Les particuliers ne sont pas moins prévoyans : il n’est si modeste épargnant qui n’ait dans son coffre-fort quelques obligations françaises ou étrangères, dont les coupons lui servent en général à faire de nouveaux achats. Survienne une crise, et les titres pourront fournir des ressources à leur propriétaire, soit qu’il les aliène, soit qu’il emprunte en les donnant en gage.

Mais les événemens d’août 1914 ont été trop foudroyans pour que le mécanisme jouât. La plupart des Français n’avaient point accoutumé leur imagination à la possibilité d’une guerre, et ils ne surent même pas se servir des armes qu’ils avaient dans la main. On ne voulut voir que les difficultés créées par l’arrêt brusque du crédit ; on oublia les trésors accumulés par de longues années de prospérité et de sagesse financière. Heureusement, la panique n’a qu’un temps. De même que nos