Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 25.djvu/335

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Telle est la pensée qui nous a animés en vous proposant d’aller à Versailles, et de ne pas aller ailleurs... Quant à moi, je serai placé à Versailles à côté de vous, si votre vote consacre cette mesure. Vous êtes ma force, mon unique force, je ne me séparerai jamais de vous. Je le répète, il faut aller à Versailles, et pas ailleurs. Je vous demande de nous accorder confiance, sans nous obliger à entrer dans des détails plus étendus. Nous vous le disons, non pas au nom d’une arrogante volonté ministérielle, non pas au profit d’un parti, mais au nom et au profit de l’Etat, et pour l’Etat, c’est-à-dire pour la Patrie ! »

On a fort critiqué ce discours. Depuis on a voulu y voir l’indication d’une politique personnelle, et la preuve que M. Thiers ne travaillait que pour lui-même. Une lettre à M. Tchitchérine, datée du 12 août 1876, et publiée ces jours derniers par le Temps, nous donne à ce sujet des indications très précieuses : « Il faut avoir vu la situation à Bordeaux, pour se figurer à quel point était commandée par les circonstances la conduite que j’ai tenue. On s’est adressé à moi, parce qu’on ne pouvait pas faire autrement. Les royalistes ne m’aimaient pas, parce qu’ils étaient convaincus que je ne serais jamais leur instrument passif. Les libéraux avaient des sympathies, mais des craintes pour mes dispositions anciennement monarchiques, et tous m’ont subi, prêts à se détacher, si je penchais vers l’un des partis en présence. Je n’avais ni un soldat, ni un écu, en présence de 800 000 soldats étrangers, maîtres du sol de la France. Il m’a fallu gouverner ainsi, en me tenant en équilibre entre tous les partis, dont pas un ne me soutenait franchement. J’ai écrasé une insurrection furieuse, maîtresse d’une capitale formidablement armée : je me suis débarrassé des Prussiens, en tenant mes engagemens au moyen d’opérations financières qui n’avaient pas de précédens ; et enfin, j’ai rétabli un peu d’ordre et beaucoup de confiance. En me voyant à l’œuvre, le parti républicain a pris confiance, et m’a soutenu, mais les royalistes m’ont attaqué avec fureur. Je les ai laissés dire, et ne me suis occupé que de la libération du territoire. Mais cette libération obtenue, j’ai dû mettre au pied du mur les trois partis monarchiques, en les sommant ou d’accepter la République, que je croyais seule possible, ou de faire eux-mêmes la monarchie, s’ils croyaient pouvoir la rétablir. Ils ont préféré ce dernier parti, et je leur ai laissé le champ libre. Ils s’y sont couverts de