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Il reconnut immédiatement que la question était des plus graves, et qu’il fallait s’exprimer en toute franchise. Pour faire sentir la nécessité impérieuse de la translation de l’Assemblée à Versailles, il retraça en peu de mots ce que le nouveau Gouvernement avait fait en quelques semaines : les négociations de paix avec le chancelier allemand, le vote des Préliminaires, la cessation de l’occupation de Paris ; le rétablissement de l’ordre financier et le commencement de la réorganisation administrative. Que restait-il à faire ? Beaucoup, hélas !... Rendre à la province les mobiles et les mobilisés, donner des bras à l’agriculture défaillante, faire renaître le calme partout, en un mot réorganiser et gouverner. Pour cela, on ne pouvait avoir deux gouvernemens, l’un à Bordeaux, l’autre à Paris. Il fallait que le calme fût entièrement rétabli dans la capitale pour y rentrer ; mais, en attendant, il fallait aussi qu’on en fût assez près pour que les affaires n’en souffrissent pas. Il devait avouer que la population parisienne était très agitée et qu’elle avait été exploitée par des gens mal intentionnés. Il espérait, grâce à une énergie extrême, rétablir l’ordre, car il jurait de ne point parlementer avec l’émeute. Il devait dire aussi à l’honneur de Paris que sa résistance prolongée à l’ennemi avait rendu un merveilleux service à la France, et que si on était forcé de prendre aujourd’hui des mesures de précaution, on n’oubliait pas ce qui avait été pour Paris un honneur sans pareil. Si la capitale avait commis des fautes, elle les payait actuellement d’un prix bien cher : la méfiance de l’Assemblée.

A ceux qui lui reprochaient de n’oser rentrer à Paris, il répondait : « C’est résoudre la question, » et il ne le voulait pas. Pourquoi ? Parce que la politique du Gouvernement était de ne point précipiter les choses, et de ne point prendre parti, comme certains l’auraient voulu, sur la forme du régime. Il constatait que l’Assemblée était souveraine, et que cependant elle avait eu la sagesse de ne pas le manifester. Il reconnaissait lui-même cette souveraineté, et il osait déclarer en même temps : « Vous vous êtes dit : nous ne serons pas Constituans ! »

Cette affirmation hardie souleva des rumeurs à droite, et M. Thiers les apaisa aussitôt avec une adresse infinie. « Je ne veux pas dire, ajouta-t-il, que vous ayez renoncé à votre droit ; je dis seulement que vous le réservez. » Il établit en termes clairs et saisissans que le premier devoir de l’Assemblée était