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filiale jusqu’au jour où elle viendra y reprendre sa place. » On applaudit et l’on cria de toutes parts : « Restez quand même, restez ! » Mais Keller, Gambetta, Schneegans, Kœchlin, Titot, Boell, André, Melsheim, Saglio, Noblot, Dornès, Hartmann, Grosjean et les autres députés protestataires, sourds aux applaudissemens et écartant doucement les mains qui voulaient les retenir, sortirent de la salle... Sur une demande de M. Guichard, le nouveau ministre des Finances, M. Pouyer-Quertier, promit ensuite à l’Assemblée de lui soumettre rapidement toutes les mesures financières capables de réparer les désastres de la France, puis la séance fut levée. Il était six heures et demie du soir. A huit heures, Delaroche-Vernet, délégué des Affaires Etrangères, emportait les deux expéditions du Traité que nous avions rédigées et collationnées au service des Procès-Verbaux avec le plus grand soin, sous la direction d’un vieux chef consciencieux, nommé Dupin. Delaroche-Vernet les remettait le lendemain matin à Jules Favre, qui allait aussitôt à Versailles réveiller le comte de Bismarck pour les lui remettre. Celui-ci, très surpris, se fit un peu prier pour aller les porter à l’Empereur. On les examina au Palais de la Préfecture avec la plus grande attention et on les trouva en règle. L’Assemblée Nationale fut récompensée de sa diligence à voter les Préliminaires par le fait suivant : Guillaume Ier s’apprêtait à monter à cheval pour entrer à Paris à la tête du second échelon de 30 000 Allemands et passer en triomphateur sous l’Arc de Triomphe. La ratification rapide du traité l’obligea à renoncer à cette satisfaction tant désirée par lui ; or, on ne peut penser à cela sans rendre à la mémoire de M. Thiers un nouvel hommage de reconnaissance. Grâce à son énergie, le séjour des Prussiens à Paris n’a duré que vingt-quatre heures.

Le lendemain du vote du Traité, tous les journaux de Bordeaux parurent encadrés de noir. L’Assemblée ne tint pas de séance ce jour-là, et ce fut dans un deuil universel que la France pleura la perte momentanée de l’Alsace et de la Lorraine.


La tache douloureuse était accomplie, mais le poids en était resté sur tous les cœurs : tous en souffraient, quelques-uns même en mouraient. C’est ainsi que le docteur Küss, le maire