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sinon prévoir le total qu’il atteindra, parce que ce total dépendra autant du degré d’intensité que de la durée même des hostilités. Nous savons tous que la somme globale sera formidable et sans précédent : auprès d’elle, les chiffres atteints par les guerres antérieures depuis un demi-siècle, les 6 milliards 200 millions de la guerre franco-allemande de 1870, les 5 milliards de la guerre sud-africaine des Boers, les 9 milliards de la guerre russo-japonaise, semblent peu de chose. Suivant que l’on additionne seulement les dépenses militaires des Etats belligérans, y compris celles des neutres, qui tiennent leurs armées mobilisées, ou que l’on ajoute à ces débours connus les pertes directes ou indirectes, les destructions de capitaux sous toutes les formes, mobilières ou immobilières ; les indemnités, les pensions à servir aux familles des victimes, les estimations varient du simple au double, et même au triple ; mais les plus modérées ne descendent pas au-dessous de 5 milliards par mois ; de sorte que si la guerre dure un an, ses frais ne seront pas inférieurs à 60 milliards.

De ce coup, la dette des principales nations de l’Europe, — qui est actuellement d’à peu près 100 milliards et demi environ, — sera doublé, attendu que les futurs emprunts, dans la période qui suivra la guerre, ne se feront pas au taux de 3 1/2, mais à celui de 5 et de 6 pour 100.

Pour répondre à la question posée par cet article : « A qui profitera la guerre ? » le chiffre de la dépense et celui de l’indemnité à réclamer au vaincu importent peu. Quel que soit ce dernier chiffre, la guerre, même pour les alliés vainqueurs, se solderait par une perte immense, si elle n’était suivie du désarmement. La victoire n’est pas, par elle-même, une source de profits. Il est clair que l’industrie allemande dépend dans une très large mesure du bas prix de l’argent, que l’augmentation des frais de banque anéantira la petite marge de bénéfices dont elle se contentait, que les objets renchériront de ce chef, puisqu’aucun commerçant ne peut travailler pour rien. Il est vrai aussi que la gêne réduira les achats, c’est-à-dire la consommation. Mais les 65 millions d’Allemands seront toujours là, prêts à exploiter leurs mines et leurs usines, à les rebâtir, si elles sont détruites, comme nous rebâtirons nous-mêmes celles qu’ils ont incendiées, et ils seront d’autant plus âpres à la besogne qu’ils auront subi de plus grandes privations.