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de parler ; tantôt l’emprunt était un virement sur les 20 milliards des Caisses d’épargne, dont les fonds sont presque exclusivement placés en créances hypothécaires, présentement et pour longtemps irrécouvrables ; tantôt les caisses de guerre prêtaient, sur les titres du futur emprunt, les trois quarts de leur valeur nominale, pour souscrire et payer cet emprunt lui-même. Or, ces caisses n’ayant d’autre argent que des billets spéciaux garantis par l’État, c’était par conséquent l’Etat qui prêtait d’une main l’argent qu’il n’avait pas, mais qu’il empruntait de l’autre main.

Grâce à ces combinaisons artificielles de papiers, à ce système de mise hors budget et hors la Banque d’Empire des sous-engagemens du Trésor, on arrive à publier chaque semaine un bilan de la Reichsbank, d’allure très correcte, où l’on maintient le niveau de l’encaisse métallique en vidant les poches des voyageurs de l’or qu’elles se trouvent contenir. On en arrive même à imprimer fièrement à Berlin, en réponse au ministre des Finances anglais, qui avait fait valoir le rôle de l’argent dans la guerre : « Si la victoire doit appartenir à celui qui aura le dernier milliard à dépenser, les Allemands ont le droit d’être optimistes. »

On a toutefois peine à le croire, si l’on consulte ce critérium infaillible de la situation des belligérans : la valeur de leur papier chez les neutres que le cours du change nous révèle. Tandis que le billet français n’a cessé d’être accepté partout au pair, le billet allemand a subi, à New-York, comme à Berne ou à Rotterdam, 8, 10, et jusqu’à 13 pour 100 de perte de sa valeur nominale. S’il est déjà déprécié à ce point, lorsque les troupes allemandes campent encore en France et en Pologne, que vaudra-t-il lorsque les troupes alliées camperont aux bords du Rhin et de l’Oder ? Non que l’Allemagne soit pauvre ; bien au contraire, elle est extrêmement riche, mais non pas en cette sorte de capitaux qui seuls comptent pour la guerre, parce qu’ils sont un peu à l’abri de ses coups. Les banques de Berlin et de Francfort se sont vainement efforcées de vendre leurs créances anglaises à Rotterdam, puis à New-York, avec qui elles traitent par câble via Copenhague ; les banquiers américains et hollandais, après examen, ont refusé de prendre ce risque.

Quoique nous soyons encore loin du « dernier milliard, » chaque nation peut envisager le montant de ses dépenses mensuelles,