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Cette paralysie de la vie nationale, qui atteint beaucoup moins l’agriculture que l’industrie dans le sein de chaque pays, affecte par conséquent un pays beaucoup plus qu’un autre, suivant que leur population est plus industrielle qu’agricole, ou inversement. L’Allemagne est dans le premier cas : elle a mis dans l’industrie le plus clair de sa fortune et, comme on l’a vu plus haut, la grande majorité de ses enfans, riches ou pauvres. Comme elle doit faire face sur deux fronts et entretenir sous les drapeaux un plus grand nombre de soldats que la France, il est certain qu’elle dépense davantage, bien qu’elle n’alloue que 11 fr. 25 et 15 francs par mois, suivant la saison, aux femmes qui reçoivent chez nous 37 fr. 50, et qu’elle ne donne que 0 fr. 25 par jour aux enfans de moins de quinze ans, à qui nous donnons ici le double. Moyennant quoi, au prix où sont les pommes de terre, femmes et enfans d’outre-Rhin vivront surtout de privations.

Mais l’Allemagne a très habilement masqué son indigence en disponibilités ; elle se vante de n’avoir pas fait de moratorium, elle qui semblait plus que toute autre en avoir besoin, à cause du peu de liquidité de ses dépôts et, si l’on ne regarde que le mot, elle a raison ; mais elle a organisé tout doucement la chose : les tribunaux, en effet, ont été autorisés, par ordonnance législative du Conseil fédéral, à accorder toutes prorogations de paiement aux débiteurs qui en font la demande, même avant aucune poursuite. Pour que personne ne manquât d’argent, bien que personne n’en eût, le gouvernement a imaginé diverses caisses de crédit où se pratique la maxime : « Prêtez-vous les uns aux autres. » Dans ces caisses, vides naturellement, l’on ne met rien puisqu’on n’a rien à y mettre ; mais on leur emprunte, et elles s’enrichissent de ce qu’on leur devra ; car elles prêtent sur toutes sortes de garanties, même morales, faute de gages plus substantiels. Chaque citoyen, ainsi mis à l’aise par l’Etat, aurait bien mauvais cœur, s’il refusait de prêter à son tour son argent à l’Etat.

La proclamation impériale, constituant pour le premier emprunt ce que serait pour une émission ordinaire le « prospectus financier, » disait nettement : « Nul n’a le droit de répondre qu’il ne se trouve pas en possession de fonds disponibles. Les mesures les plus larges ont été prises pour rendre liquides les sommes nécessaires. » « Liquides » est une manière