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les systèmes d’arbitrage et les organisations pacifistes ; ce sont les princes et les ministres responsables, revêtus de l’autorité et parlant au nom de leur pays : l’Angleterre ne cessait de proposer à l’Allemagne la limitation des armemens navals et le tsar, à l’aurore du XXe siècle, prenait l’initiative de la Conférence de La Haye et recommandait les conventions préventives de guerre.

Cette Russie, que l’Allemagne se plaît à représenter comme barbare, se trouve au contraire avoir pour chef le plus moderne à beaucoup d’égards et le plus novateur des princes, et c’est chez la nation à la fois la plus pratique et la plus hardie de l’univers, c’est aux Etats-Unis d’Amérique que les plans d’avenir international de l’Empereur de Russie ont recueilli l’adhésion la plus chaude et l’enthousiasme le plus réfléchi. Ne croyons pas que sa promesse de ressusciter une Pologne autonome soit une manœuvre diplomatique inspirée par les circonstances présentes ; c’est la réalisation d’un projet caressé depuis un siècle par ses prédécesseurs : tous ceux qui ont lu l’histoire savent qu’en 1814 l’empereur Alexandre voulait déjà refaire le royaume de Pologne et que c’est l’Autriche et surtout la Prusse qui s’y sont énergiquement opposées.

Quant à l’Angleterre, les faits, les chiffres, prouvent combien il est puéril de l’accuser, ainsi qu’on le fait outre-Rhin, soit de jalousie vis-à-vis de l’Allemagne, soit de la recherche d’un profit sordide résultant de prises maritimes. Quelles inquiétudes économiques pouvait éprouver l’Angleterre, pour qui les dix dernières années, malgré les charges très lourdes laissées par la guerre Sud-Africaine, ont été une période de prospérité croissante, si bien que son commerce extérieur atteignait l’an dernier 36 milliards de francs (onze milliards de plus que celui de l’Allemagne) ? Et de quel poids insignifiant seront pour elle les quelques douzaines de millions que pourront valoir les cargaisons et les corps de navires allemands, saisis en mer, auprès des milliards de francs, — elle en a déjà emprunté 8, — que représenteront pour elle les dépenses de la guerre et les pertes que son industrie ou son commerce en éprouvera ? Ce qui menaçait la Grande-Bretagne, ce qu’elle redoutait, ce n’était pas la concurrence pacifique, c’était la domination militaire d’une Allemagne, maîtresse du continent, qui l’eût à son tour réduite en vasselage et n’en dissimulait pas la prétention.