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contraires à la brutalité du soudard et un état d’âme qui s’accorde mal avec l’ivresse du vainqueur. Si les Allemands étaient allés dans les deux hémisphères, ou simplement chez les autres peuples d’Europe, offrir leurs services avec l’allure terrible et un sabre sous le bras, ils auraient été partout éconduits ; si leurs commis-voyageurs, pour placer leurs marchandises, avaient compté sur l’effectif imposant de l’armée germanique, ils n’auraient pas réussi à vendre cent paires de bottes.

Le prestige militaire ne leur a effectivement servi que pour l’écoulement des canons chez des peuples jeunes et pénétrés de cette idée que l’obus du plus fort est toujours le meilleur. Encore la maison Krupp est-elle seule à savoir ce qu’il en coûte de pourboires pour enlever certaines commandes. Pour tous autres produits, c’est par l’insinuation la plus douce, par l’adaptation aux habitudes et aux goûts des cliens que le commerçant allemand est parvenu à leur vendre d’abord un mouchoir, le lendemain un fourneau, le surlendemain une locomotive. Bien loin d’être enflés de leur propre mérite, comme nous les voyons depuis quelque temps par ces certificats de supériorité mondiale qu’ils se délivrent mutuellement, c’est à l’imitation servile des bons modèles que les Allemands se sont appliqués et, comme ils avaient le privilège de moteurs et d’ouvriers économiques, ils ont sollicité par l’article bon marché la clientèle énorme des petits consommateurs, et ont un peu partout, même en France, évincé des concurrens et raflé des ordres en proposant tout simplement 20 ou 30 pour 100 de rabais sur les prix français.

Cette sorte de chasse aux affaires n’avait pas le moindre rapport avec le rayonnement des armes et l’ambition des lauriers. Ce sont au contraire les Français qui, depuis quarante-quatre ans, ont sans cesse guerroyé pour conquérir de nouveaux territoires : en Tunisie, au Tonkin, en Annam, au Cambodge, au Congo, au Dahomey, au Soudan, à Madagascar et au Maroc, tandis que l’Allemagne luttait surtout pour répandre dans le monde entier sa glorieuse camelote. Financièrement parlant, il se peut bien que ce fût l’Allemagne qui ait fait les gros profits et que notre domaine colonial, le plus vaste après celui de l’Angleterre, ne nous ait pas rapporté beaucoup d’or ; mais, par l’héroïsme d’un groupe d’explorateurs et de soldats dont