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malgré sa tendance évidente à la baisse depuis cinq ans. De sorte que la population allemande, qui avait augmenté de 1815 à 1870 de 70 pour 100, a simplement continué depuis quarante-quatre ans de croître dans la même proportion.

Un fait analogue s’est d’ailleurs produit en Angleterre où la population est passée (compris l’Ecosse et l’Irlande) de 18 millions en 1815 à 32 millions en 1870 et à 45 millions et demi aujourd’hui. L’Angleterre n’a pourtant livré aucune bataille, mais elle a extrait beaucoup de charbon et bâti beaucoup d’usines. Or l’usine occupe plus de bras que la ferme. Si toute l’Allemagne était aussi peuplée que le bassin de la Ruhr où 11 millions d’âmes vivent sur 1 500 kilomètres carrés, — le quart en surface d’un de nos départemens français, — son territoire contiendrait trois milliards et demi d’habitans. Pour avoir beaucoup de population, il faut, en général, avoir beaucoup de travail à lui donner ; l’industrie seule distribue du travail, et la population grossissante favorise à son tour l’industrie par le bas prix de la main-d’œuvre. Il est clair que l’Allemagne a été exceptionnellement handicapée sur le marché international depuis quarante ans par le taux modeste des salaires dont se contentaient ses ouvriers et ses employés ; qu’elle a tiré de là une grande force pour établir en tout genre ces marchandises à bon marché qui ont été la base de son succès.

Tout cela n’avait rien à voir avec la victoire militaire ; et si l’on disait que du moins l’indemnité de guerre, les 5 milliards qu’elle nous avait arrachés lui avaient été profitables au début, parce que son gouvernement en avait employé une partie à des travaux d’utilité publique, il serait facile d’établir que, chez nous aussi, l’Etat avait fait pour l’outillage national une dépense équivalente : c’est aux environs de 5 milliards que montait en 1878 le devis du « plan Freycinet. » Le ministre dont il porte le nom en recueillera l’honneur devant l’histoire parce qu’il a puissamment accru les moyens de communication ; par lui nos canaux et nos fleuves ont été transformés. Mais comment créer, avec des lois, des gisemens de houille et des enfans ?

Soit parce que le besoin engendre l’abnégation, soit parce que le caractère allemand est aussi susceptible d’humilité que d’arrogance, une autre cause a favorisé le développement économique de l’Empire voisin : la souplesse d’échiné et les prétentions réduites de ses travailleurs. Ce sont là des vertus toutes