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II

Que l’Allemagne ait accédé plus tardivement que nous à la civilisation, c’est un fait historique, ou plutôt géographique, que nul ne pourrait contester ; qu’elle nous ait dépassés ou même rejoints tout à fait, c’est une question que l’on se pose, le cœur serré, lorsqu’on entend de tout petits enfans belges, aux mains coupées par les barbares de 1914, demander à leur maman « quand est-ce donc que leurs mains reviendront ? » Depuis l’ère chrétienne, les Germains étaient en retard sur nous, comme la Gaule romanisée était en retard sur l’Italie ; et, de même que la France du sud de la Loire fut policée bien avant la France du nord, de même, depuis le moyen âge jusqu’à nos jours, depuis les « Saxons » du temps de Charlemagne qui demandaient le baptême toutes les fois qu’ils éprouvaient le besoin d’avoir une tunique neuve, jusqu’au hussard de la mort qui notait en septembre dernier sur son carnet de route que « le saindoux français avait vraiment un goût délicieux, » le Poméranien ou le Brandebourgeois est demeuré en arrière du sujet des Électeurs de Cologne, de Mayence ou de Bavière.

Nous étions nous-mêmes jusqu’en 1845 fort en retard, dans le domaine des progrès industriels, sur les Anglais qui en avaient été les initiateurs. L’invention de la vapeur devait naturellement profiter au pays où le charbon était déjà en usage depuis le XVIIIe siècle, où les gisemens étaient innombrables, l’extraction aisée, la qualité excellente, le transport court et partant peu coûteux. L’Angleterre est ainsi devenue cette colossale maison de fabrication, doublée d’une agence mondiale de transport, que nous voyons, parce qu’elle avait sous la main un outil incomparable de fabrication et de transport et qu’elle vendait jusqu’aux antipodes la portion de houille qu’elle n’employait pas elle-même, pour permettre aux autres nations de fabriquer et de transporter.

Par là, son commerce maritime atteignit le premier rang et, possédant une immense Hotte marchande parce qu’elle était en mesure de l’utiliser, elle est arrivée à cet état d’entrainement où une industrie puise dans son succès de quoi le multiplier encore : si les deux tiers des navires qui se