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belliqueuse où la mise était colossale, tandis que l’avantage matériel ne pouvait être que nul.

Au contraire, la vanité morbide, dégénérée en « folie collective des grandeurs, » dont le peuple allemand est aujourd’hui atteint, — passagèrement, espérons-le, — a été préparée, puis aggravée par cette idée fausse que la gloire avait été et serait toujours une « bonne affaire. » Le professeur baron Karl von Stengel, juriste et l’un des délégués allemands à la première conférence de La Haye, dans son ouvrage Weltstadt und Friedensproblem, écrit ceci : « Les préparatifs guerriers de l’Allemagne n’ont pas abouti à un désastre économique, mais à une expansion économique sans exemple, due, sans doute possible, à notre supériorité démontrée sur la France. »

Grossière, ai-je dit, est cette erreur, parce qu’il suffit d’y réfléchir quelques instans, de se remémorer le passé ou de jeter les yeux sur l’Europe contemporaine pour constater que, ni autrefois, ni de nos jours, la supériorité militaire n’augmente le commerce et n’a même aucun rapport avec le bien-être d’une nation. Historiquement, la guerre, même la plus heureuse, a toujours été une cause de gêne et non de prospérité. La France, aux heures où elle a possédé en Europe, par la force des armes, une suprématie à laquelle l’Allemagne n’a jamais osé prétendre, la France de Louis XIV et de Napoléon Ier était bien loin d’être prospère ; tandis que les longues années de paix de la Restauration et de Louis-Philippe ont préparé et favorisé son essor industriel.

Depuis cinquante ans, des nations, grandes ou petites, depuis les Etats-Unis jusqu’à la Belgique, qui n’avaient fait et ne souhaitaient faire aucune guerre, n’avaient pas moins progressé que l’Allemagne ; et, si le commerce de l’Angleterre demeurait le plus important de l’univers, cela tenait à de tout autres causes qu’à la guerre du Transvaal, qui avait coulé six milliards et quart, il y a une dizaine d’années, ou à l’augmentation du nombre des dreadnoughts. L’Angleterre aurait pu construire cinquante dreadnoughts. elle n’aurait pas vendu un canif de plus pour cela. La Hollande ou la Suisse, qui n’avaient livré aucune bataille, qui n’avaient pas de dreadnoughts comme l’Angleterre ou d’armée permanente comme la France, jouissaient d’une aisance égale et faisaient un commerce plus important, eu égard à leur population. Comparativement au