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en donner ? On dit qu’en portant la guerre sur le territoire britannique, ils espèrent peut-être empêcher ou ralentir les enrôlemens dans l’armée destinée à combattre sur le continent. Mais est-ce là vraiment la guerre et ces médiocres actes de piraterie méritent-ils d’être décorés d’un aussi grand nom ? En tout cas, l’effet est manqué : on a remarqué que, le lendemain d’opérations de ce genre, le nombre des enrôlemens augmente d’une manière très sensible. C’est que les Anglais y voient ce qui y est effectivement, une insulte à leur territoire, provoquée par la rage de l’impuissance. Ils en sont offensés et nullement intimidés. Bons juges en matière de courage, s’ils apprécient celui de l’Emden, ils n’ont que du mépris pour celui qui consiste à bombarder de loin des villes sans défense. Veut-on un exemple de vrai courage, digne d’une admiration sans réserve ? Il faut le demander au sous-marin anglais qui, entré vaillamment dans les Dardanelles, y a coulé le cuirassé turc Messoudieh et a réussi à regagner sain et sauf la mer Egée. Tout officier voudrait être le héros d’une pareille entreprise, dont le succès sert du moins à quelque chose.

Mais à quoi bon discuter les faits et gestes des Allemands ? Ils ont une conception de la guerre et de l’honneur qui n’est pas celle des nations civilisées. A leurs yeux, le succès justifie tout, à quelque moyen qu’il soit dû, et nous reconnaissons que l’histoire est quelquefois assez immorale pour consacrer cette doctrine : mais qu’en penseront les Allemands, quand ils seront battus ? Ils estiment que la force crée le droit ; mais il faut garder la force ; si on la perd, on perd tout, tandis que celui qui est vaincu en défendant le droit, conserve au moins le sentiment de sa supériorité morale sur son vainqueur » Attendons la fin : nous causerons alors avec les intellectuels allemands sur les doctrines qui, dans leur pensée, les avaient élevés si haut et qui les auront finalement laissés retomber si bas.


L’Angleterre vient d’établir son protectorat en Égypte. L’événement devait fatalement se produire un jour ou l’autre : il change d’ailleurs peu de chose à une situation que nous avions créée nous-mêmes, d’abord par nos fautes, ensuite par nos traités. Comment aurions-nous pu refuser le consentement final, qui sans doute nous a été demandé ces derniers jours ? Des engagemens réciproques liaient l’Angleterre et nous : elle avait promis de ne nous gêner en rien au Maroc et nous aidons promis de ne pas la gêner davantage en Égypte. Tel est le contrat que nous avons passé avec elle, il y a dix ans. A la vérité, nous devions respecter l’un et l’autre