Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 25.djvu/230

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parler de moi l’emportèrent et la guerre fut résolue. » Cette phrase n’est plus dans les ouvrages du Roi. C’est Voltaire qui la lui a fait supprimer. Il le regrette maintenant : « C’est dommage, dit-il ; un aveu si rare devait passer à la postérité et servir à faire voir sur quoi sont fondées presque toutes les guerres. Nous autres gens de lettres, poètes, historiens, déclamateurs d’académie, nous célébrons ces beaux exploits : et voilà un roi qui les fait, et qui les condamne. » Cependant, après avoir résumé en une page les principales victoire » de ce conquérant, Voltaire ne lui marchande pas son admiration : « Gustave-Adolphe n’avait pas fait de si grandes choses. Il fallut bien alors lui pardonner ses vers, ses plaisanteries, ses petites malices, et même ses péchés contre le sexe féminin. Tous les défauts de l’homme disparurent devant la gloire du héros. » Seulement, ce n’est point au héros que Voltaire avait eu affaire ; et c’est aux défauts de l’homme qu’il a consacré tout son divertissant petit ouvrage.

Ne le lui reprochons pas, s’il nous divertit ; et il me semble que jamais l’art de Voltaire n’a été plus étonnant, dru et alerte, son langage plus parfait, plus économe des mots, plus exact et rapide, sa méchanceté plus riche et heureuse. Pourtant, ce livre laisse à qui vient de le lire avec délices je ne sais quelle irritation, je ne sais quel malaise. Livre adorable, et qu’on déteste ! Quand Voltaire lance à la fin son grand éloge de Frédéric, c’est tout de suite après que les Français ont « jeté leurs armes, perdu leur canon, leurs munitions, leurs vivres et surtout la tête, » s’éparpillent et sont vaincus. Voltaire l’écrit sans nul embarras, sans nulle mélancolie : et, de sa part, que de bassesse !... Oui ; mais, dira-t-on, que d’impartialité ! Cette impartialité ne l’empêche pas de rapetisser cela même qu’il a vu chez nos vainqueurs. Tout ce dont il parle, il le rapetisse. Il est plus intelligent que personne : et il est plus léger que personne. Il comprend, certes ; mais il s’échappe, à l’instant où l’on pouvait peut-être souhaiter qu’il se posât, pour songer un peu. Joubert le compare à un singe ; et l’on se rappelle, dans la Jungle de Rudyard Kipling, les singes : ils n’ont pas de mémoire, ils n’achèvent pas le geste qu’ils ont commencé, ils sont le jouet d’une distraction perpétuelle, ce qu’ils saisissent ; ils le laissent tomber. C’est bien cela, et pour Voltaire, en quelque mesure. Une calembredaine : et il n’est plus là ; on le cherche. Il a traité ainsi, de cette façon sautillante, agile et souvent absurde, tous les grands problèmes qui sont le tracas de l’humanité, les problèmes de l’âme, les problèmes de la vie, et les problèmes de Dieu. Ses yeux très vifs, et miraculeusement perçans, et clignotans, ont aperçu ce qui