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EN EXTREME-ORIENT.

moi : « Monsieur, me dit-il, ce que j’ai entendu hier dans votre classe m’a énormément intéressé. Comment arrivez-vous en France à de pareils résultats ? Vous avez posé à des enfans de treize ans des questions que nous ne poserions pas à des jeunes gens de dix-huit, parce qu’ils n’y répondraient point. Et les vôtres y ont répondu. Et ils savent du latin ! Et ils le traduisent avec un véritable souci de l’élégance ! Quelle culture ! » Ce professeur m’avait l’air d’un excellent homme. Il était un peu attristé. Je fus humain. Nous le sommes toujours. Je le remerciai et je lui dis : « Ils ne sont pas aussi forts en thème. Le thème, voyez-vous, c’est notre partie faible. Si vous étiez venu un jour de thème, leurs solécismes vous auraient peut-être scandalisé. » — « Ah ! me répondit-il, en reprenant quelque assurance, les nôtres savent énormément de grammaire ! » Quelques mois plus tard, je reçus, de je ne sais quelle université allemande, un rapport de ce professeur publié en français. L’expression de son étonnement et de son admiration pour nos élèves était un peu atténuée, mais encore très flatteuse. Mes chers petits élèves de jadis, où vous battez-vous aujourd’hui ? Je suis sûr que vous vous battez bien et que, de nouveau, vous tuerez l’Allemand, d’une autre façon, il est vrai, que vous le fîtes dans votre classe de Janson : mais c’est lui qui l’aura voulu.

Du mercredi 26 août, où le Katori Maru quitta Hong-Kong, au lundi 31, où il atteignit Singapore, nous ne reçûmes que deux communications télégraphiques : l’une du cap Saint-Jacques qui démentait la prise de Lille et de Roubaix, mais qui avouait que l’armée franco-anglaise avait légèrement reculé ; l’autre, d’un bâtiment de commerce, l’Ixion, qui avait entendu dire dans le dernier port où il avait touché que les Allemands avançaient en Belgique, « mais que les Alliés suivaient leur plan comme ils l’entendaient. »

« Cela sent mauvais pour vous, » me dit un Suisse allemand, parti de Shanghaï. C’était un jeune médecin attaché à une Ligne de Hambourg, dont le bateau avait été pris à Vladivostock. Il en avait vu de dures pour son premier voyage. Son cargoboat était commandé par un Prussien ; mais les autres officiers étaient Bavarois. La brouille se mit bientôt entre eux. Un jour