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malade : ce sont les Prussiens qui recherchent Voltaire et, avec ces contre-temps, c’est lui qui a l’air de faire les avances ; il n’aime pas beaucoup ça. Le Roi était au petit château de Meuse. Et, quand arriva Voltaire, il sut que Maupertuis l’avait précédé, ce Maupertuis que possédait « la rage d’être président d’une académie : » on le logeait au grenier. Dans la cour du château, le conseiller privé ministre d’État Rambonet soufflait dans ses doigts et montrait des manchettes de toile très sales, un chapeau troué, une vieille perruque. Eh bien ! si c’est ainsi que le roi de Prusse entretient son ministre d’État et loge un savant géomètre, Voltaire n’a plus envie de lier sa destinée au règne d’un si pauvre monarque. Cependant, on le conduit à l’appartement de Sa Majesté : « Il n’y avait que les quatre murailles. J’aperçus, dans un cabinet, à la lueur d’une bougie, un petit grabat de deux pieds et demi de large, sur lequel était un petit homme affublé d’une robe de chambre de gros drap bleu : c’était le Roi, qui suait et qui tremblait sous une méchante couverture, dans un accès de fièvre violent... » Quelle misère, et peu engageante !... Mais enfin, l’accès de fièvre passa. Le Roi se leva, s’habilla et put se mettre à table. Un charmant souper ; il y avait Algarotti, Maupertuis, Keyserling, un ministre ou deux ; et l’on traita de la liberté, de l’immortalité de l’âme, des androgynes de Platon. Aussitôt, quel plaisir ! Sur les androgynes de Platon et sur les diverses théories de l’amour énoncées au Banquet, Voltaire a de subtiles plaisanteries à lancer : le Roi ne redoute pas du tout les propos lestes, les considérations cyniques et drôles. Sur l’immortalité de l’âme, il est d’accord avec Voltaire, contre les dogmes chrétiens. Et Voltaire lui présente si joliment ses hypothèses subversives ! Il n’attaque pas Dieu : saint Thomas seulement. Il se doute qu’un Roi, même éclairé, ne professe pas l’athéisme aussi effrontément qu’un philosophe de Paris. Mais Dieu ? Ne limitons pas la puissance divine. Locke fut bien sage et « le seul métaphysicien raisonnable, » quand il nous avertissait de ne pas nier que Dieu pût « accorder le don du sentiment et de la pensée à l’être appelé matière. » Donc, nous serons matérialistes, avec le consentement de Dieu ; nous révoquerons en doute l’immortalité de l’âme, par déférence pour la puissance divine. Le Roi se plaît à ces hardiesses qui, au surplus, renforcent bien adroitement les doctrines d’autorité. Sur la liberté, entendons-nous : il y a la liberté métaphysique, si lointaine qu’il ne faut pas s’en effrayer, et la liberté du citoyen dans l’État. Là-dessus, quel est l’avis du Roi, fils d’un despote et qui eut à revendiquer sa liberté malaisément, despote lui-même ? Ici commencent les contrariétés. Mais la liberté que