Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 25.djvu/222

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

charmante et d’offrir au lecteur, sans la lui imposer, une aide opportune. Aucun pédantisme ; et, tous les renseignemens de chronologie ou d’histoire qui nous manqueraient, on nous les donne. Ensuite, nous sommes curieux de savoir si Voltaire dit la vérité : les mémorialistes, habituellement, ne brillent pas par là, soit qu’ils cèdent à l’orgueil avantageux d’un Chateaubriand ou à l’orgueil cynique d’un Rousseau. M. Descharmes n’a rien laissé passer, de Voltaire, sans contrôle ; eh bien ! Voltaire est de bonne foi. Il ne dit pas tout, évidemment ; et, en cas de bisbille entre lui et le prochain, c’est le prochain qui a tort ; et, les gens qu’il n’aime pas, il les déteste ; et il ne cesse pas d’être malicieux, méchant, perfide, l’injustice même assez souvent ; et il ne ménage pas les grands hommes, sauf un, lui ; et, des autres grands hommes, ou de taille moyenne, il a tracé de terribles caricatures. Il aimait la vérité, mais sans fureur ; il voulait qu’elle l’éclairât et ne l’illuminât point ; il ne se privait pas d’elle et il l’arrangeait à sa guise : il en faisait quelque chose d’impitoyable et de divertissant.

Ses mémoires ; ou, plutôt, le récit de quelques années de sa vie. Un épisode : son aventure avec le roi de Prusse Frédéric II. Et quelle aventure comique ! Il nous invite à être gais, touchant la Prusse : qui ne saisira cette occasion ? plus sérieusement, à connaître les origines de la puissance et de la civilisation prussiennes : spectacle surprenant !

A Berlin, dans l’allée de la Victoire, on voit les statues magnifiques et fort laides des fondateurs de la monarchie ; et chacun d’eux vous a grand air, en marbre, un geste souverain, la dignité la plus grave. Mais lui, Voltaire, ce n’est pas cette déférence, si naturelle à un sculpteur officiel, qui l’empêchera de nous montrer des bonshommes tout autres, et autrement vivans, et authentiques. Son Frédéric-Guillaume, un gros garçon, très avare, très mauvais. On le rencontrait dans les rues, à pied, « vêtu d’un méchant habit de drap bleu, à boutons de cuivre, qui lui venait à la moitié des cuisses ; et quand il achetait un habit neuf, il faisait servir ses vieux boutons. » Armé d’une grosse canne de sergent, il passait, chaque matin, la revue de son régiment de géans : le plus petit soldat du premier rang avait sept pieds de haut ; et lui n’était qu’en largeur. S’il sortait en carrosse, deux heiduques placés aux portières en cas qu’il tombât se donnaient la main par-dessus l’impériale. Après la revue, il se promenait par la ville ; et, à son approche, les gens se sauvaient. S’il apercevait une femme à baguenauder, il vous la secouait : « Va-t’en chez toi, gueuse ; une honnête femme doit être dans son ménage ! »