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et rude. Aussi, aujourd’hui encore, offrent-ils le spectacle, singulièrement rare, de mœurs patriarcales qui leur assurent une robuste santé, aussi bien morale que physique. Ceux que ne saisit pas la fièvre de l’Amérique savent, sous un ciel clément, se contenter de peu. Entretenir la petite maison cubique au toit en terrasse, cultiver le champ souvent rocailleux, assister aux offices et écouter les récits des vieillards est toute la vie de leurs paysans et les générations monotones se succèdent ainsi dans un même attachement aux traditions du passé. Tous les voyageurs qui ont parcouru le Liban ont vanté l’affabilité et le charme de l’hospitalité maronite. Comme autrefois le marquis de Nointel[1], ils ne peuvent se lasser « d’admirer la candeur de ce bon peuple, ses mœurs simples et douces. » Et s’ils ont la bonne fortune d’être reçus au Patriarcat, ils ne manquent pas d’éprouver une impression identique à celle des compagnons de voyage de l’Ambassadeur qui, « assis à la table du Patriarche, entourés des principaux prêtres, crurent se trouver dans un cénacle d’apôtres. »

Sauf quelques défections, le clergé est resté le maître de ce troupeau docile à ses conseils, où les prêtres exercent une influence d’autant plus sensible sur la vie familiale que nombre d’entre eux sont mariés. Si le changement des temps ne permet plus aux prélats d’aujourd’hui d’être comme cet ancien Archevêque d’Edhen qui cultivait sa vigne de ses propres mains et dont le lit était plus dur que celui des paysans[2], du moins donnent-ils toujours à leurs ouailles l’exemple de la simplicité.

Fortement groupés autour de leur clergé et de leur Patriarche, les Maronites constituent donc un petit peuple d’une essence très particulière. La vallée sacrée de la Kadisha, creusée de cellules d’ermites, les cèdres des hauts sommets, symboles de leur vitalité et de leur indépendance, et le monastère patriarcal de Cannobin, perché comme un nid d’aigle, résument toute leur histoire. Ils représentent « la plus pure théocratie qui ait résisté aux temps[3]. »

  1. Le marquis de Nointel, ambassadeur de France à Constantinople, visita le Liban en 1674. M. Albert Vandal a relaté son passage en Syrie dans les Voyages du marquis de Nointel, p. 153-154.
  2. Relation du voyage du P. Philippe, Carme déchaussé, publiée par le P. Rabbath (Documens pour servir à l’histoire du christianisme en Orient, p. 446).
  3. La Nationalité maronite, article de M. Ferdinand Tyan, paru dans la Quinzaine du 1er août 1905, p. 358.