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Latins furent définitivement perdus. Cependant, la résistance des guerriers francs put se prolonger plus longtemps dans l’île de Chypre et dans les montagnes de Syrie. Nos Croisés ont ainsi vécu près de deux siècles dans le voisinage des Maronites. De cette longue existence commune est né l’attachement affectueux et reconnaissant que ceux-ci n’ont cessé de témoigner à notre pays. N’affirment-ils pas même, non sans certaines chances d’exactitude, que le sang des Croisés français s’est souvent trouvé mêlé au leur, témoin cette curieuse poignée d’hommes blonds aux yeux bleus peuplant certains villages de la haute montagne ? Aussi, les guerriers francs une fois disparus de Syrie, allaient-ils laisser dans le pays une trace profonde et leur souvenir généreux, toujours évoqué dans les jours de malheur, devait-il animer bien des légendes.


Définitivement maîtres du pays après deux siècles de luttes, les Musulmans surveillèrent attentivement les Maronites qu’ils craignaient toujours voir de nouveau prêter la main à des envahisseurs. A cette époque, les chrétiens continuaient à être massés dans la partie septentrionale du Liban, du côté des Cèdres, de Batroun et de Djèbail [1] : ils n’étaient guère encore descendus au sud du Nahr Ibrahim, l’antique fleuve Adonis. Sous l’autorité spirituelle de leurs Patriarches, ils étaient divisés en plusieurs districts ayant à leur tête des chefs appelés « mouquaddams », parmi lesquels celui de Bécharré exerçait une sorte de prépondérance [2]. Un certain nombre des leurs se trouvait également disséminé dans les îles de Rhodes, et surtout de Chypre, où leur communauté avait été particulièrement prospère sous la domination des Lusignan.

D’ailleurs, bien d’autres populations étaient, entre temps, arrivées au Liban, de sorte que celui-ci offrait le spectacle d’un curieux mélange de races et de religions. Sans compter les colons persans installés le long de la côte par les Oméyades, et ancêtres des Métualis actuels [3], c’était, en premier lieu, la

  1. L’antique Byblos, le « Gibelet » des Croisés.
  2. Voir l’article intitulé Frère Gryphon et le Liban au XVe siècle, publié par le P. Lammens, un des érudits de l’Université Orientale de Beyrouth, dans la Revue de l’Orient Chrétien en 1889, p. 83 et 84.
  3. Les Métualis que l’on trouve aux environs de Saïda, de Tyr et dans quelques parties de la plaine de la Békaa, descendent en effet de ces Persans. Ce sont des Musulmans chiites.