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aux nouveaux venus pour se rendre maîtres du pays, sinon pour y asseoir et y organiser leur conquête.

Non seulement les Arabes, malgré leur relative tolérance religieuse, soumettaient de temps à autre à différentes vexations les chrétiens relégués à une situation inférieure, mais l’Eglise d’Antioche se débattait alors dans une complète anarchie propice à l’éclosion des hérésies. C’est alors que saint Jean Maron, afin de sauvegarder en même temps l’intégrité et la foi [1] du petit peuple dont il avait la charge, prit le parti de déserter les plaines d’Antioche pour se réfugier avec les siens dans les montagnes du Liban. Sans doute y rencontra-t-il d’autres populations araméennes, également chrétiennes, qui ne tardèrent pas à se joindre aux disciples qui le suivaient. De cette fusion est née la nation maronite. C’est à saint Jean Maron qu’elle doit et sa constitution définitive et le choix du Liban comme patrie. Aujourd’hui, dans la plupart des esprits, le nom du Liban est si intimement associé à celui des Maronites que l’on est tenté de les confondre dans une même pensée en croyant que cette communauté, à elle seule, a toujours peuplé le Liban. Non seulement cette croyance est erronée, mais on vient de voir qu’il faut rechercher l’origine des disciples de saint Maron ailleurs que dans les montagnes syriennes.

En prenant cette décision, saint Jean Maron a marqué son peuple d’une telle empreinte que la tradition a fait de lui le premier Patriarche de la nation, la tête de cette lignée de chefs, à la fois religieux et civils, continuée sans interruption jusqu’à nos jours. D’après la légende, il aurait été, en 675, sacré évêque de Botrys [2] par Jean, évêque de Philadelphie. Dix ans après, le siège patriarcal d’Antioche, toujours bouleversé par les incursions des Sarrasins et les agitations des hérétiques, se trouvant vacant, les évêques du Liban et de la contrée y portèrent l’évêque de Botrys qui s’était distingué par l’énergie avec laquelle il avait combattu les Jacobites, partisans des doctrines de Nestorius et d’Eutychès [3]. A la suite de cette élection, saint Jean

  1. On sait qu’au commencement tout au moins de leur domination, les Arabes firent du prosélytisme religieux. Ils ne tardèrent pas à y mettre un terme, estimant dangereux de réduire le nombre des chrétiens qui, par le fait de leur conversion à l’islamisme, devenaient leurs égaux.
  2. La ville actuelle de Batroun, située au bord de la mer, quelque peu au sud de Tripoli ; le « Boutron » des Croisés.
  3. Les querelles des Maronites et des Jacobites monophysites remplissent Une grande partie de cette époque. La tradition rapporte qu’en 659 eut lieu à Damas, en présence du Khalife Mouaviah, une grande controverse entre les plus célèbres partisans des deux doctrines, au cours de laquelle les Jacobites furent déclarés défaits et condamnés à payer un lourd impôt.