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voit dans ce calme des eaux si rapidement troublées, c’est le symbole de l’énergie virile, brûlante et fécondatrice, de la surhumanité future arrivée à son maximum de puissance et de splendeur. Même dans ses momens de lyrisme effréné, le midi ne lui suffit pas : il lui faut le soleil torride des tropiques. Le masque du faux Hellène éclate, et le visage grimaçant et convulsé de l’Asiatique se découvre.

Pour ma part, si je m’en tiens à notre Méditerranée latine, et, dans cette Méditerranée, à notre Afrique du Nord, c’est que l’atmosphère et l’activité américaines ou extrême-orientales ne sont point faites pour nous. Français. Elles nous amollissent, ou elles nous surmènent et elles nous accablent. Les Italiens eux-mêmes peuvent bien passer, ils ne s’établissent guère aux Etats-Unis. Au contraire, l’Afrique nous offre, avec la joie de son ciel, dont nous sommes avides, l’activité réglée qui nous convient : nous n’y perdons point notre sens inné de la mesure, pour sombrer dans les aventures de toutes les mégalomanies. Ensuite, nous y restons en contact avec les traditions de culture qui ont formé notre race. Héritiers d’Athènes, d’Alexandrie et de Rome, nous sommes chez nous à Carthage, où les courans de civilisation partis de ces trois villes sont venus se confondre.

J’ajoute enfin que, si la fameuse union des peuples latins, dont on a tant parlé, s’est jamais réalisée quelque part, c’est uniquement là, dans notre Afrique du Nord. Le fait est évident et ne peut plus se contester : Français, Italiens et Espagnols forment, à l’heure qu’il est, en Algérie, un peuple nouveau. Il y a là comme l’ébauche d’une alliance plus large et plus effective entre leurs trois nations d’origine. Quoi qu’il arrive, c’est dans ce sens, dans le sens d’une collaboration de plus en plus étroite que ces nations devraient agir, si elles veulent écarter à tout jamais des rivages de la Mer latine l’Aigle à deux têtes, le sombre oiseau de proie austro-germain.


LOUIS BERTRAND.