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EN EXTREME-ORIENT.

pait aujourd’hui le Hongkong Hôtel. Mais je n’y rencontrais pas ce concours de peuples qui m’avait émerveillé. Les marchands somnolaient dans leurs magasins déserts. La cité chinoise, dont les rues spacieuses prolongent sans interruption le quartier des affaires, avait laissé tomber son animation trépidante et pittoresque. On évaluait à cent mille le nombre des Chinois qui avaient fui à Canton, au bruit que la flotte allemande arrivait. « On n’a qu’à leur annoncer que les Allemands nous ont coupé le cou, disaient les Anglais, et ils reviendront tous comme un seul homme. » Les hauteurs de la ville, ses villas aux pentes de la montagne, les allées cimentées des beaux jardins abrupts, dont les fleurs rouges, pareilles à celles des camélias, soulignaient encore le caractère artificiel, n’avaient jamais été aussi tranquilles. Mais toute la jeunesse anglaise avait endossé le costume des volontaires : veste et pantalon ou culotte de kaki ; cravate, chemise et bas couleur kaki. Les uns portaient de longues épées ; les autres, des raquettes de lawn tennis, et la plupart leur montre en bracelet. Cette jeune garde nationale, très élégante, s’astreignait matin et soir à des exercices militaires qui ne faisaient qu’ajouter à ses sports. La chaleur d’un été exceptionnel ne fatiguait point son courage.

Sous ces calmes apparences, Hong Kong était divisé. Les Allemands, à l’exception des mobilisables qu’on avait relégués dans une île voisine, y jouissaient de la liberté la plus complète et continuaient paisiblement leur commerce. Paisiblement ? Non, car ils faisaient un bruit de tous les diables le soir dans leur club. On les entendait de loin pousser des hoch vigoureux et trinquer à la victoire. Les militaires se montraient étonnés d’une tolérance qui favorisait l’espionnage, et les commerçans très mécontens d’une concurrence qui, en ce moment, leur produisait l’effet d’une trahison. L’un d’eux s’irritait devant moi qu’une maison allemande eût pu vendre, la veille, pour deux mille livres de whisky. La Banque allemande n’était point fermée. Il est vrai que la plupart de ses commis sont Portugais et que, si j’en juge par celui que je rencontrai dans un tramway, leurs patrons ne leur ont inspiré qu’un dévouement sans borne à la cause des Alliés. Mais enfin, il y avait là une situation anormale. Le Gouverneur, lui, était soutenu par les Banques Anglaises, qui avaient imprudemment avancé de forts capitaux au commerce germanique, et dont un brusque arrêt dans les affaires menaçait