Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 25.djvu/189

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ôter au taureau sa corne. La liberté, telle que nous l’entendons, est une affaire qui ne regarde que nous, qui n’intéresse que nous. Défendons-la donc pour nous-mêmes, puisqu’elle nous plaît tant, au lieu de vouloir l’imposer aux autres, qui n’en ont cure !

Ainsi, les milieux coloniaux ne font qu’exaspérer, par la contradiction, la divergence des idées et des caractères : le type ethnique ou national s’y renforce. Évidemment, il n’en va pas absolument ainsi chez le colon qui demeure. Une moyenne s’établit peu à peu entre les mœurs des divers groupes coloniaux, mais ces groupes fondus en nationalités nouvelles n’en sont que plus âpres à défendre leur nouveau caractère, même contre celui de la mère-patrie. En tout cas, il s’agit surtout ici du civilisé qui passe, qui vient faire ses écoles en pays barbare.

Or, il y apprend à persévérer dans son être, à fortifier son caractère. Au lieu de se laisser amollir par la contagion des mœurs étrangères, il se raidit dans les siennes, et, par exemple, il devient plus Français ou plus Latin en pays d’Islam. Il y reçoit enfin une leçon d’énergie non plus théorique, mais pragmatique, et, pour ainsi dire, en acte.

Ce point de vue, qui est le mien, n’est-il pas très différent de celui du roman exotique ou colonial, l’un consistant à s’ébahir devant l’étrange, le non encore vu, ou le non encore éprouvé, à s’adapter aux mœurs d’autrui jusqu’à les faire siennes, — et l’autre à décrire les tares du civilisé en pays colonial ou à l’opposer puérilement à l’indigène ? Il ne s’agit point de s’oublier ou de se discuter soi-même en face de l’étranger, mais de s’affirmer fortement devant lui.


Comment cela est-il spécialement méditerranéen, et non germanique ou anglo-saxon ? C’est l’objection qui se présente tout de suite. Si l’on cherche avant tout des écoles d’énergie, n’en trouverait-on point de plus complètes et de plus intenses en Asie ou en Amérique, — dans l’Amérique du Nord surtout ? Prenons garde que, pour Nietzsche, la Méditerranée, avec son ciel et son climat, ses civilisations héroïques et aristocratiques, n’est guère plus qu’un exemple ou une métaphore. Exemple, le type grec du guerrier ou du citoyen. Métaphore, le calme alcyonien ou les midis brûlans de la Mer latine. Ce qu’il