Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 25.djvu/187

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

continue à vivre au fond de l’Allemand, sous le masque du civilisé.


Dans les milieux coloniaux et, en particulier, dans notre Afrique du Nord, ce pédantisme de la barbarie, préconisé par Nietzsche, ne se comprend pas, et, dans tous les cas, serait superflu. Nul entraînement factice n’y est requis, pour restituer au civilisé l’énergie et la rudesse, le coup d’œil prompt et la décision rapide de l’homme inculte. Il suffit de se laisser faire par le milieu. J’ai toujours dit que, pour transformer nos plus amollis pacifistes en militaristes fougueux, il fallait leur offrir une ferme dans la brousse, avec l’obligation d’y résider trois mois par an.

Où trouver, en effet, non seulement une meilleure école d’énergie, mais une meilleure école de guerre que dans un pays où la faim et la soif redeviennent des nécessités immédiates et pressantes, où l’extrême froid et l’extrême chaud exercent et harcèlent durement les corps, où l’on se heurte, à chaque pas, contre une vieille race guerrière qui n’a désarmé qu’en apparence ? En ce moment, l’expérience prouve que nos troupes les plus mordantes, celles qui ont au plus haut degré les qualités militaires, sont nos troupes africaines. Et je me laisse dire que, dans le haut commandement, ce sont encore nos Africains, ceux qui sont passés par l’école de la brousse, qui révèlent les plus brillantes et les plus solides aptitudes. La tactique et l’organisation savantes sont évidemment des choses admirables, mais la qualité de la matière vivante et pensante, qu’elles mettent en œuvre, importe extrêmement.

Ajoutons que, dans ces milieux coloniaux, l’homme fait pour commander, le chef-né émerge tout de suite et s’impose. Qu’il s’agisse d’une patrouille de zouaves ou d’une équipe de terrassiers, — devant le danger, ou l’obligation de se débrouiller vite dans un pays hostile, sans vivres, démuni de ressources, — les hommes perdus, livrés à leurs seules forces, se tournent d’instinct vers le maître et vers le chef. Pareillement, dans les régions tranquilles et dans le train habituel de la vie, celui qui sait acquérir et organiser de la richesse ou de la puissance, manifeste des qualités plus originales et plus vigoureuses que