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c’est la vieille sauvagerie teutonne ; l’esprit apollinien, c’est la cuistrerie prussienne, et les deux unis dans une harmonieuse proportion forment ce qu’on appelle aujourd’hui « la culture allemande. »

Et cependant, qui ne voit que tout n’est pas à rejeter dans ces théories nietzschéennes, perverties par la brutalité méchante et la démesure de la race ? Jamais nous n’avons eu plus besoin de la force pour défendre notre droit, et jamais la nécessité d’être forts ne s’est montrée à nous plus inexorable. Jamais nous n’avons eu plus besoin d’élites pour conduire notre force. Jamais enfin, par l’expansion civilisatrice de notre génie, nous n’aurons été appelés à faire plus de bien au monde. Dans toutes ces tâches, Nietzsche peut nous être un conseil, comme il le fut pour ceux de son pays. Mais nous n’avons pas voulu, ou nous n’avons pas su comprendre l’essentiel de son enseignement. Nous n’avons vu en lui qu’un anarchiste de la pensée et de la volonté, le destructeur des morales et des métaphysiques, l’individualiste éperdu, qui pousse jusqu’à l’absurde la théorie de son égoïsme. En réalité, Nietzsche est un éducateur, — un éducateur de peuples, — et c’est à la vieille terre méditerranéenne, qu’il est venu demander les principes de sa pédagogie héroïque.


On ne l’a pas compris chez nous, et cela ne m’étonne point. Je suis le dernier qui doive s’en étonner. Pourquoi, il faut bien que je le redise encore, et peut-être qu’en le disant, j’aurai achevé de préciser ma critique de Nietzsche et mis au point quelques-unes des idées qui me sont chères.

Les personnes qui ont bien voulu écrire sur mes livres m’ont représenté, suivant les points de vue, comme un descripteur chateaubrianesque, ou comme un romancier exotique ; d’autres, se croyant plus exacts, comme un romancier colonial. C’est là une façon sommaire et expéditive de juger les gens. Rien de tout cela n’est juste. Comme Nietzsche, et sans connaître Nietzsche, — car il a fallu cette guerre pour m’amener à lire son œuvre, — je n’ai guère fait que prêcher la Méditerranée. On s’y taille le domaine que l’on peut. Mon domaine à moi, — bien que j’aie poussé ma pointe dans toutes les régions