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ne lui apparaît point comme un lieu de loisir élégant ou de corruption cosmopolite, ni comme un conservatoire de couleur locale, ni comme la terre classique de l’art. Il faut y insister. Voilà un écrivain qui a vécu en Italie, et qui n’a pas éprouvé le besoin de la décrire, ni de célébrer ses palais, ses tableaux, ses statues. Pas un mot sur les musées. Non qu’il fût indifférent à tout cela. Autant que les grandes créations de l’art, les grands aspects de la mer et des montagnes l’émouvaient extrêmement. Mais cela lui paraissait secondaire. L’essentiel, pour lui, était de former des caractères, et c’est ce qu’il venait demander au Midi, — le Midi âpre et brûlant, — de lui enseigner. Ce qu’il voit à Gênes, c’est la ville natale de Christophe Colomb. Quel meilleur patron offrir au peuple allemand, dont l’avenir, suivant une parole célèbre, est sur l’eau ! Et ce qu’il voit en Italie, c’est le pays des condottières et des aventuriers, des Borgia et des Malatesta. Cette Italie du moyen âge, quelle bonne école de sous-officiers pour l’armée allemande !

Mais pénétrons davantage la pensée de Nietzsche, revenons à la formule de tout à l’heure. Il s’y agit beaucoup moins de l’Italie historique et de l’influence exemplaire de son passé, que des vertus de son sol et de sa lumière ; et bien moins aussi de l’Italie elle-même que des pays méditerranéens et du Midi en général. Le Midi, pour Nietzsche, est un lieu de thérapeutique physiologique, morale, intellectuelle, un climat tonifiant pour le corps comme pour l’âme. Les contrastes y abondent. Sur les hauteurs, l’extrême froid y succède brusquement à l’extrême chaud. Ce traitement alterné est excellent pour les nerfs, c’est un révulsif de premier ordre pour les organismes fatigués. Quant aux hommes sains et vigoureux, la violence de ces climats ne fait qu’exciter leurs énergies. Après des périodes d’assoupissement et de paresse, la passion flambe plus dévoratrice, l’activité se relève plus conquérante.

Dans l’air pur et léger du Midi, l’âme du Nord se débarrasse de son vague. Elle se purifie de toutes ses brumes, de son mysticisme nébuleux et sans consistance, de sa sensiblerie humanitaire, « de sa religion niaise de la pitié, pestilence funeste propagée par le roman russe, dit-il. A Gênes ou à Cagliari, Tolstoï n’est plus possible. » Enfin, dans le paysage méridional, l’œil intérieur s’éclaircit. La netteté des lignes, la transparence lumineuse du ciel sont conseillères de clarté et de probité d’esprit.