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NIETZSCHE ET LA MËDITERRANÉE

Nietzsche était fou, il est mort fou. On prétend même qu’avant d’être enfermé, il avait déjà donné des signes non équivoques de folie. Cette folie d’un Germain illustre fut la figure anticipée de la démence pangermaniste. Comme le disait très bien, ici même, M. André Beaunier, à propos du livre de Jacques Vontade, la mégalomanie allemande a trouvé son expression la plus littéraire et la plus complète dans l’œuvre de Nietzsche-le-Fou.

Chose surprenante : Nietzsche et les pangermanistes (on sait qu’à présent, c’est l’Allemagne entière) ont la prétention de représenter le positivisme intégral. Ils partent des faits, ils s’appuient fortement sur les réalités. L’auteur de Zarathoustra se pique d’avoir rappris à l’Allemagne et à l’humanité « le sens de la terre » : « O mes frères, dit-il, restez fidèles à la terre de toute la force de votre amour ! Que votre amour prodigue et votre connaissance aillent dans le sens de la terre. Je vous en prie et je vous en conjure. Ne laissez pas votre vertu s’envoler loin des choses terrestres et battre des ailes contre des murs éternels. Hélas ! il y eut toujours tant de vertu égarée ! Comme moi, ramenez vers la terre la vertu qui s’égare, oui, vers la chair et vers la vie, afin qu’elle donne son sens à la terre, un sens humain... » Mais la manie de la transcendance, manie héritée de leurs vieux idéalistes, a perdu les Allemands. Il leur a fallu surmonter l’humain et transcender le réel. Ces réalistes en sont arrivés, dans la frénésie de leur orgueil, à nier la réalité, à se cogner en aveugles à l’obstacle qu’ils ne veulent plus voir. Un