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Bismarck finit par avouer que le Roi consentirait à abaisser l’indemnité à cinq milliards, mais en ajoutant qu’il voudrait en échange la citadelle de Belfort. « Il fallait la prendre, dit M. Thiers, pour la réclamer avec un certain droit. A l’heure où nous discutons, elle se défend encore contre vous. Jamais je ne céderai une ville et une forteresse aussi héroïques. » Et cette lutte angoissante dura plus de deux heures.

Alors Bismarck se lève et dit qu’il va consulter le Roi son maître. M. Thiers reste avec Jules Favre, dans le cabinet du chancelier, pendant deux autres heures, sans échanger un mot avec le ministre, son compagnon d’infortune. Bismarck revient enfin et dit que la Prusse cédera Belfort, si on lui accorde l’entrée à Paris. M. Thiers, après s’être entendu d’un clin d’œil avec Jules Favre, répond : « Paris paiera pour Belfort et sera heureux d’être la rançon d’une ville qui a souffert pour la même cause ! » Mais il exige en même temps que les villages environnans seront concédés à la France, afin que Belfort ait le rayon d’action indispensable pour sa défense et sa sécurité. Bismarck va une seconde fois consulter le Roi et l’Etat-major allemand. Et l’attente recommence cruelle, horrible, haletante ; elle dure encore deux heures. Enfin, le chancelier reparait et dit que le roi accepte. La discussion dans cette affreuse journée avait occupé dix heures et M. Thiers pouvait s’étonner de n’avoir pas succombé à la fatigue et à l’angoisse d’une telle épreuve. On se renvoie de part et d’autre au samedi 25 pour signer les préliminaires. Tout semblait fini, lorsque l’intervention réitérée de l’Angleterre exaspéra encore une fois le chancelier qui tomba à bras raccourcis sur la perfide Albion et accusa M. Thiers d’avoir intrigué dans l’ombre avec elle. Il jure, il sacre, il tempête en allemand. M. Thiers laisse passer le cyclone et demeure impassible. Puis Bismarck s’arrête et peu à peu reprend son calme. Il a voulu intimider le négociateur et prévenir de nouvelles demandes, de nouvelles concessions. Il paraît maintenant très pressé de signer et bouscule ses secrétaires. Il fait apporter les protocoles et les relit rapidement. Il n’admet aucune modification de rédaction et dit que chacun saura bien s’y retrouver. On lui parle des réquisitions qu’il faudrait suspendre, du retour en France des 400 000 prisonniers, de la nécessité de s’entendre avec les Compagnies du Nord et de l’Est. « Oui, oui, cela est entendu ; c’est très naturel. Cependant, il faut signer. » Mais M. Thiers demande