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dangereux et des critiques ridicules ; Bordeaux comme Paris s’en moque. Il a la pensée ailleurs, et peu lui importe, comme dit Horace, que la censure soit rigoureuse pour les colombes et pitoyable aux corbeaux :


Dat veniam corvis, vexat censura columbas.


Bordeaux ne s’occupe que de la guerre et des Communiqués officiels.

En 1871, cette ville pensait surtout aux négociations d’où allaient sortir la paix ou la guerre. Les journalistes assiégeaient les portes des huit Commissions, qui étudiaient chaque jour, de neuf heures du matin à dix heures du soir, l’état de la France au point de vue financier, militaire, administratif et commercial, espérant que, parmi les hommes compétens chargés de cette tâche difficile, il s’en trouverait d’assez avisés et bien informés pour leur ouvrir les arcanes de la politique et de la diplomatie. On apprenait avec satisfaction que la Russie avait été la première à reconnaître le gouvernement nouveau et on comptait sur elle, oubliant, hélas ! que l’empereur Alexandre II avait félicité l’empereur Guillaume Ier de ses succès et que celui-ci avait reconnu que, sans la neutralité russe si scrupuleusement observée, l’Allemagne n’aurait pu recueillir tout le fruit de ses victoires.

Victor Hugo composait des vers sur la situation et, en attendant la discussion des préliminaires de paix, protestait avec virulence contre toute cession de territoire. On faisait circuler ces quelques strophes qui devaient un jour trouver place dans l’Année terrible :


Si nous terminions cette guerre,
Comme la Prusse le voudrait,
La France serait comme un verre
Sur la table d’un cabaret...

On le vide, puis on le brise...
Notre fier pays disparait..,
deuil ! il est ce qu’on méprise,
Lui qui fut ce qu’on admirait !

Plus de fierté, plus d’espérance,
Sur notre histoire un voile épais...
Dieu ! ne fais pas tomber la France
Dans l’abime de cette paix !