Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 25.djvu/164

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Assemblée. Les légitimistes croyaient à la restauration du trône avec le Comte de Chambord. Dans le centre droit et le centre gauche, on parlait de la possibilité de l’élection du Duc d’Aumale comme président de République. Les optimistes s’imaginaient que l’Europe interviendrait en faveur de la France et empêcherait tout démembrement. C’était prêter à une Europe indifférente et égoïste une politique intelligente qu’elle ne suivit malheureusement pas. M. Thiers, accompagné de Jules Favre, se rendait, non sans inquiétude, à Versailles ; il prévoyait des exigences effrayantes contre lesquelles son énergie et son bon sens allaient se heurter sans grand espoir de les adoucir. On savait que le comte de Bismarck, qui n’était pas homme à se laisser attendrir, n’eût pas lui-même, — en le supposant animé d’intentions modérées, — pu résister aux volontés du Roi, de la Cour, des princes et de l’armée. Les succès inespérés des Allemands les avaient grisés, et le chancelier se rappelait que, dès le début de la guerre, l’état-major avait déclaré hautement que, cette fois, il ne se laisserait pas égarer comme à Nikolsbourg et qu’il ne permettrait pas qu’on traitât les Français avec la modération qu’on avait témoignée jadis aux Autrichiens.

L’interruption forcée des séances, pendant lesquelles les grandes Commissions seules travaillaient sans relâche, donnait lieu à toutes les conjectures. Ceux qui se croyaient de profonds politiques émettaient les craintes les plus diverses. La cession de la flotte, l’abandon de Nice, de la Savoie et de l’Algérie peut-être, sans compter les deux provinces de l’Est tant de fois menacées, leur paraissaient devoir être l’objet de pressantes revendications. Nous vivions dans un état insupportable d’inquiétude et d’agitation fiévreuses, et, pendant ce temps, les théâtres de Bordeaux jouaient des opéras-comiques et des comédies. Et il y avait un public pour y assister !... Aujourd’hui, heureusement, on ne tolère que le Skating Club et les cinémas ; leur répertoire anodin, comme les Yeux du cœur, — la Mobilisation de l’armée, — les combats du Maroc, — la Conscription des chevaux, — l’Arrivée des Hindous à Marseille, est soumis à une censure impitoyable. Elle ne se contente pas de passer les journaux au caviar ou d’y faire des tonsures prodigieuses, elle exerce son autorité même sur les sujets cinématographiques et soumet les directeurs de ces industries mécaniques à une surveillance sévère. Mais elle laisse parfois passer dans la presse des textes