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LA BELGIQUE MARTYRE.


VI


À ces récits, pas un honnête homme, pas un cœur droit ne peut rester insensible. Pourtant certains neutres, dans leur indignation même, penseront peut-être qu’il s’agit là, surtout quand ils se passent dans les villages, d’actes individuels, presque inévitables dans toute guerre, à l’heure où l’instinct brutal prend le dessus chez l’homme ivre de sa force. Si plusieurs des faits révélés par la Commission d’enquête doivent, être regardés comme des faits d’indiscipline, si même nous voyons parfois un officier intervenir pour faire cesser le scandale et aller jusqu’à le punir, il apparaît de toute évidence que les massacres, les pillages, les incendies, les crimes de toute sorte qui ont désolé et désolent encore la Belgique sont le résultat d’ordres donnés, les effets d’un système, les manifestations d’une organisation dure, savante, scientifique !

La science allemande en a d’ailleurs fait le célèbre aveu. « Nos soldats ne commettent aucun acte de cruauté indisciplinée[1] » (keine zuchtlose grausamheid), affirment les Quatre-vingt-treize dans leur manifeste. Les Quatre-vingt-treize exagèrent : nous reconnaissons qu’il dut y avoir quelques actes de cruauté commis sans ordre. Mais les illustres aveugles qui ont signé, sans rien vérifier, le papier de mensonge pédant et catégorique qui les flétrira devant l’avenir, ne croyaient pas exprimer, — en prétendant laver leur peuple de tant d’infamies, — une aussi effroyable vérité ! La cruauté de l’armée allemande est disciplinée. Le Nein, Razieren ! du Sommerfeld assis sur la grande place de Termonde est l’expression même de cette discipline !

« Que voulez-vous, c’est la guerre ! » disent quelquefois les Allemands honteux qui veulent faire taire leur conscience. — « Il le fallait, les civils avaient tiré ! » crient tout de suite les autres pour légitimer leurs massacres, quand ils en éprouvent le besoin. Civil hat geschossen ! c’est là, nous l’avons déjà constaté, le motif classique, obligatoire, général, le prétexte-omnibus qui à l’avance absout les pires excès, les ruines et les tueries ! Que

  1. La traduction officielle du manifeste porte « ni actes d’indiscipline, ni de cruautés. » Il suffit de lire en regard le texte allemand pour voir qu’il s’agit là d’une de ces altérations, — il y en a quatre ou cinq, — que les Quatre-vingt-treize ont fait subir volontairement à leur texte, en le traduisant en français.