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LA BELGIQUE MARTYRE.

la boucherie ou l’exil ! Aerschot, Dinant, Ancienne, Louvain, Termonde sont des noms inoubliables pour un peuple qui, dans son culte pour les victimes, puisera à jamais sa haine contre les meurtriers. Chaque jour un détail encore inconnu surgit de l’ombre où, depuis leur supplice, ces villes sont plongées, un détail qui, ajoutant une torture nouvelle à celles que l’on connaissait, ajoute une nouvelle lueur à l’auréole de ces martyres. Saluons-les de loin, douloureusement, en attendant le pèlerinage qu’au jour glorieux de la délivrance nous irons faire à leurs ruines fécondes et vengeresses : martyr veut dire témoin !

Aerschot, dont le nom a déjà été prononcé souvent, parce que ses environs, libérés pendant quelques jours par l’armée d’Anvers, ont pu être explorés méthodiquement, était une petite ville de huit mille âmes qui reposait au bord du Démer, au milieu des prairies. Une haute tour dominait son silence, troublé seulement par le bruit d’eau du moulin penché sur la rivière. Pendant la retraite de l’armée belge sur Anvers, la vallée qui joint Aerschot à Diest fut le théâtre d’une série de combats violens ; mais il n’y avait plus un seul soldat belge dans la ville quand les Allemands y entrèrent, le matin du 19 août. Dès leur premier défilé, ils se révélèrent ; des coups de feu furent tirés sur les maisons, plusieurs furent incendiées sans prétexte, et, comme prologue d’un drame qui déjà se préparait, on fit sortir de chez eux quelques habitans de la rue du Marteau, qu’on fusilla. Les troupes se répandirent ensuite dans la ville, où elles s’installèrent ; le général et ses aides de camp descendirent chez le bourgmestre, M. Tielemans, et jusqu’au milieu de l’après-midi, aucun incident sanglant ne se produisit. À quatre heures, voyant son mari distribuer à la porte des cigares aux sentinelles qui gardaient la maison, Mme Tielemans le rejoignit et, comme le général l’observait du haut du balcon, conseilla à son mari de rentrer. La grand’place devant elle était encombrée de deux mille Allemands. Tout à coup, deux colonnes de fumée s’élevèrent, et une fusillade imprévue et générale éclata. Les soldats se débandèrent, tirèrent dans les fenêtres, enfoncèrent les portes des maisons pour décharger leurs armes dans les corridors. Devant cette furie déchaînée, Mme Tielemans entraine son mari, ses enfans, les domestiques dans la cave. Elle ne sait pas que là-haut, au même moment, une balle atteint le général et le tue. Sur les murs la mitraille grêle. Il faut