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LA BELGIQUE MARTYRE.

Ils font le mal sans utilité, par pure haine : dans un hameau du pays de Liége, un instituteur nommé Warnier est sommé non seulement de livrer les cartes qu’il possède, mais encore de fouler aux pieds le drapeau national. La mort le punit de son patriotisme. Ses enfans sont massacrés avec lui !

Autre manière de faire servir les Belges contre leur pays. Les régimens ennemis poussent devant eux les villageois à la bataille. À Tirlemont, un aumônier militaire, l’abbé de Spot, est saisi dans ce dessein avec quantité de civils. Le juge G. constate, à Eppegem, que toute la population mâle du bourg en a été emmenée pour précéder les troupes. Il n’est pas un petit combat dans les Flandres où le procédé ne soit appliqué. Pour ce genre de lâcheté, ils emploient surtout les femmes. Le 25 août, au pont de Lives, ayant arrêté dans les environs toutes les femmes et les petits enfans, ils les font marcher devant leurs lignes. Le 29 août, à Hèrent, M. P. compte environ cinq cents femmes et enfans qui, précédés des curés de Wygmael et de Wesemael, s’avancent, les coudes liés, devant l’armée. À Sempst, le 24 août, ils pénètrent dans les caves, en chassent les femmes à coups de crosse et les poussent au front de leurs régimens en marche. « De tous côtés nous recevrons des coups, dit la femme Nys. Nous fûmes enfin placées contre les trois maisons qui se trouvent au pont de la Senne, au nombre d’une trentaine. Nous dûmes rester les mains en l’air (depuis cinq heures) jusque onze heures et demie du matin. Nous fûmes ensuite jetées dans un fossé profond, mais à sec, auprès du pont. Je restai là quelque temps sans connaissance. Quand je revins à moi, il fut dit que toutes nous devions être fusillées ; ils nous menaçaient de leurs revolvers. Vers midi, ils nous chassèrent toutes. » La citation dépasse la démonstration que je veux faire, mais n’éclaire-t-elle pas bien la manière cruelle des barbares ? Le sergent Bulcke, du 24e de ligne, qui commandait un poste devant Termonde, a compté trois dames et deux jeunes filles parmi les quinze civils que le détachement ennemi qu’il devait combattre menait devant lui. Les femmes de Micheroux ont marché, poussées par les baïonnettes, à l’assaut du fort de Fléron. Dans un village des environs de Gand où je me trouvais peu avant la prise d’Anvers, accourut un jour, éperdu, fou, un paysan d’Hofstade chassé de son village par trop d’horreur : il avait vu sa femme saisie par les soldats allemands et, dépouillée par eux de ses vêtemens, aller sous la pointe des