Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 25.djvu/134

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
130
REVUE DES DEUX MONDES.

lerons tous les curés ! nous en avons déjà fusillé cinq ! » Beaucoup de paroisses du val de Meuse ont vu tomber leurs prêtres. Rien que dans le diocèse de Namur vingt-six ont été exécutés. On ne compte pas ceux qu’on a emprisonnés et conduits en exil. Le récit du sac de Louvain nous y montrera bientôt les religieux tués par dizaines. Ceux qui, chassés, avaient pu fuir de la ville ne furent guère plus heureux. Le Frère R., des Écoles chrétiennes, est arrêté brutalement dans les champs avec un groupe de prêtres, parmi lesquels on nomme le chanoine Noël, professeur à l’Université, le curé de Saint-Joseph, le Père Recteur du couvent de Scheut. On les enferme dans une grange. De leur prison ils peuvent entendre les officiers déclarer dans la maison voisine qu’ils ont l’intention de tuer tous les curés de Louvain. À peine ont-ils perçu ce sinistre présage qu’on vient les chercher ; on les pousse dans une porcherie dont on fait, devant leurs yeux, sortir le porc. On les déshabille complètement. On vole tout ce que contiennent leurs poches, on jette leurs bréviaires sur le fumier. Le curé de Buecken, âgé de 83 ans, voyant emmener les habitans de son village, supplie de pouvoir les suivre. On le prend, on l’attache à un canon qui le secoue à le briser. Quand on le détache, c’est pour le traîner à terre, la tête rebondissant sur les durs pavés. À bout de forces, le vieillard ne peut retenir cette prière : « Tuez-moi ! plutôt ! Tuez-moi !… » Le Père commun des fidèles est bien loin de notre terre et de nos souffrances. Entendra-t-il enfin le cri de détresse que notre peuple chrétien et le sang des prêtres martyrs ont poussé vers lui, désespérément ? Condamnera-t-il celui au nom de qui ces crimes sont commis ?

Plus cruelles peut-être que les tortures physiques, il y a les tortures morales. Les Allemands en savent l’horreur. Et violant une fois de plus ces lois de la guerre dans lesquelles les derniers de nos paysans avaient lu leur sauvegarde, ils s’acharnent systématiquement à faire saigner leur patriotisme et à abuser d’eux contre leur pays. Partout dans les campagnes, ils les emploient aux tranchées. Sous la menace du revolver, la colère au cœur, il faut plier ! Ils arrachent aux habitans, par la violence, des renseignemens militaires. De Haecht, ils envoient les hommes du village à Malines pour voir si les Belges s’y trouvent. S’ils ne reviennent pas, et, revenus, s’ils ne disent pas la vérité, leurs femmes et leurs enfans, gardés comme otages, seront fusillés…