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LA BELGIQUE MARTYRE.

brisent à un homme les bras et les jambes. Une de leurs victimes se plaint-elle : ils l’achèveront, comme M. Cognon, de Visé, qu’ils lardent de coups de baïonnette, qu’ils poussent dans l’eau, et qui, le ventre déchiré, pressant ses entrailles d’une main, est obligé de tirer de l’autre une barque, — jusqu’à ce qu’il meure !

Méditons ce résumé de leurs exploits dans le village de F., c’est le curé qui dépose : « Les Allemands sont arrivés à F., le mardi 18 août, vers 9 heures, comme un essaim. Ils ont mis le feu à cent quatre-vingt-dix maisons. Un millier d’habitans est sans maison. Vingt-deux personnes au moins ont été tuées sans motif aucun. Deux hommes, les nommés Macken et Loods, ont été enterrés vivans, la tête en bas, en présence de leurs femmes. Les Allemands m’ont pris dans mon jardin, ils m’ont lié les mains derrière le dos. Ils m’ont maltraité de toute façon. Ils ont préparé pour moi une potence, disant qu’ils allaient me pendre ; un autre m’a pris par la tête, le nez, les oreilles, faisant le geste de me couper les membres ; ils m’ont contraint pendant longtemps à regarder le soleil ; ils ont brisé les bras du forgeron qui était prisonnier avec moi, et puis l’ont tué ; à un moment donné, ils m’ont forcé d’entrer dans la maison du bourgmestre qui brûlait, puis m’en ont retiré. Cela a duré toute la journée. Vers le soir, ils m’ont laissé regarder l’église, disant que c’était la dernière fois que je la verrais. À six heures trois quarts, ils m’ont relâché en me frappant avec des cravaches de cavaliers. J’étais en sang et je gisais sans connaissance. À ce moment, un officier me fit relever et m’ordonna de partir. À quelques mètres, ils tirèrent après moi. Je tombai et restai pour mort : ce fut mon salut. Avant de me lâcher, ils avaient pris le drapeau belge et l’avaient déchiqueté en petits morceaux. »

C’est sec comme un procès-verbal, c’est tragique comme le crime lui-même. Et qu’il est beau, ce cri de l’homme qui vient de raconter son supplice et le supplice de son troupeau, et qui ajoute en un sursaut, plus ému que par tout le reste, son salut déchirant au drapeau insulté ! Le cas du curé de F. n’est pas unique. Comment les brûleurs d’églises respecteraient-ils les pasteurs ? Les prêtres des campagnes sont tout désignés pour servir d’exemples. En arrivant au Pin, un des premiers villages qu’ils rencontrent après avoir franchi la frontière du Luxembourg belge, le commandant prussien hurlait : « Nous fusil-