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que la nature et la société ont établies entre les deux sexes, le respect de la patrie, qui chaque jour cède la place aux feux follets d’un décevant humanitarisme. Plus notre « culture » s’étend, plus elle devient insipide. Nos fils méprisent l’éminente valeur des traditions anciennes, et ne veulent plus regarder que ce qui a chance de servir leurs intérêts immédiats. Les choses de l’esprit ont cessé d’avoir aucune prise sur notre peuple allemand !


Que l’on se rappelle, en regard de ce mélancolique « testament » de Treitschke, le passage où le même écrivain, un quart de siècle auparavant, légitimait les hautes ambitions de l’Allemagne nouvelle en alléguant le dévouement passionné de celle-ci à la cause sacrée de « l’Infini et de l’Éternel ! » Et cette « conception plus morale de la liberté, ayant ses racines dans l’idée du devoir, » que célébrait également l’ardent patriote en 1870, et ces « formes chevaleresques d’organisation militaire » dont il faisait honneur à la « culture » de sa race ! Qu’est devenu tout cela, qui naguère lui avait semblé avoir de quoi conférer à l’Allemagne la « mission » providentielle de dominer le monde ? Évidemment Treitschke a désormais reconnu son erreur ; il a compris que l’effort de sa vie s’était vainement dépensé au profit d’un vain rêve ; et parmi les nombreux témoignages de la « déchéance » allemande que j’ai eu déjà l’occasion de citer ici, peut-être n’y en a-t-il pas de plus expressif que cet aveu solennel du vieux « gentilhomme-poète, » déplorant, avant de mourir, le profond changement survenu, pendant un quart de siècle, dans l’âme et la vie d’un peuple trop « heureux ! »


T. DE WYZEWA.