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son profit sa victoire initiale sur les sept pauvres mouches : mais, à côté de lui, les contes populaires allemands nous présentent un bon nombre de ses proches parens qui, ceux-là, persisteraient dans leur attitude instinctive de soumission et de crainte si le hasard ne leur envoyait pas un ou plusieurs ingénieux conseillers, assidus à transformer l’artisan résigné d’hier en un « tranche-montagne. » Je me souviens notamment d’une « version » où le futur héros se laisse convaincre de sa haute valeur par trois étranges passans qu’il a croisés sur sa route, — trois passans dont le premier s’est bandé un œil, le second un bras, et le troisième le nez, parce que cet œil, et ce bras, et ce nez sont doués d’une puissance fonctionnelle si extraordinaire que force est à leurs maîtres d’en éviter l’emploi dans les conditions de la vie quotidienne. Et, semblablement, il en a été pour l’Allemand d’aujourd’hui, dont je serais tenté de dire qu’il a rencontré, lui aussi, sur son chemin, tout de suite au sortir de ses premiers exploits, trois conseillers respectivement pourvus d’une vigueur musculaire, d’une vue, et d’un flair d’exception. C’est à eux que revient, pour une bonne part, le mérite de lui avoir créé, depuis un demi-siècle, comme une âme nouvelle, — le mérite ou plutôt la responsabilité et la faute, car il n’est guère possible qu’un individu ni une nation ait chance de prospérer longtemps avec une âme par trop différente de celle qui lui est proprement naturelle.


Toujours est-il que trois hommes fameux ont contribué plus que personne autre non seulement à exalter soudain l’orgueil de l’Allemagne, mais encore à modifier sa pensée et ses sentimens au point où nous les voyons depuis un demi-siècle. Et tandis que l’un des trois, sans doute le plus grand, y contribuait « pratiquement, » par son exemple personnel, c’est d’une manière toute « théorique, » au moyen de leur doctrine écrite ou parlée, que les deux autres ont efficacement travaillé à ce qu’on pourrait appeler la « conversion » de l’ancien « Michel » germanique en cet imperturbable Sept-d’un-Coup que nous montrent à la fois, de nos jours, les ruines fumantes de la Belgique et les chaires les plus sonores des diverses universités d’outre-Rhin.

Le premier de ces trois hommes a été, naturellement, le prince de Bismarck ; et je ne m’arrêterai pas un instant à rappeler l’énorme influence politique et « morale » du spectacle que ne cesse pas d’offrir son image à la masse tout entière du peuple allemand. Sans l’exemple « colossal » de ce parfait modèle de l’Allemand « à venir, » aucune