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à Beethoven en 1824, assure que dans ses propos le maître ne nous épargnait guère, traitant les Français de piètres connaisseurs, en mu-Bique d’abord, et en politique également.

Sa musique a lui, même sa musique, ne nous a pas toujours ménagés. La symphonie descriptive et imitative, pour orchestre, avec décharges de mousqueterie et d’artillerie, intitulée la Victoire de Wellingtonvou la Bataille de Vittoriav ; certaine cantate officielle et de circonstance (ve moment glorieuxv en l’honneur du Congrès de Vienne ; deux chœurs : la Résurrection de la Germanie et Tout est accompli, forment dans l’œuvre de Beethoven ce qu’on peut appeler la part nationale ou patriotique. Il s’en faut, premièrement, à ne parler que de la musique seule, que ce soit la meilleure part. Notre confrère M. Jean Chantavoine a traité la Bataille de Vittoria de « gigantesque amusette musicale, » indigne de soutenir aucune comparaison avec l’Héroïque, laquelle au moins, ne fût-ce que par la dédicace primitive à Bonaparte, est un peu nôtre, et glorieusement. Dans la cantate et dans les deux chœurs, M. Chantavoine encore ne voit que des « œuvres pompeuses, aussi étrangères à son génie » (au génie de Beethoven) « que la Victoire de Wellington. » Ainsi d’abord, — et c’est tant mieux, — il n’y a pas, dans ces œuvres médiocres, de beauté qui mérite et puisse en quelque sorte forcer notre admiration ; pas d’offense non plus, et nous en sommes plus heureux encore, qui doive entretenir en nous de pieux et durables ressentimens. Elle fut notre ennemie, cette musique, mais sans lâcheté ni bassesse. Elle a chanté nos malheurs, elle n’y a point insulté.

Il y a quelques semaines, répondant ici même à l’odieux manifeste des prétendus « intellectuels » allemands, M. Francis Charmes écrivait : « Gœthe, Beethoven et Kant ont vécu et, comme on dit, fleuri, à un moment où ce « militarisme » (le militarisme prussien) était fort, loin d’exister. Ils étaient d’ailleurs à l’antipode des sentimens de l’Allemagne d’aujourd’hui et ils les auraient détestés s’ils les avaient connus. Aussi bien, » — ajoutait notre directeur, — « aussi bien laissons Beethoven, qui est très grand sans nul doute, mais non pas dans le monde de la pensée, et qui est d’ailleurs à moitié Belge. » A notre tour, il nous plaît de laisser Gœthe, et surtout Kant. Mais ne laissons pas Beethoven. Que la grandeur, — Pascal eût écrit « la dignité » — d’un musicien comme celui-là ne consiste pas dans la pensée, dans un certain mode de la pensée, une telle assertion fait trop peu d’honneur à la musique elle-même. Nous y reviendrons tout à l’heure. Retenons de préférence, ou répétons aujourd’hui plus