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Nul ne puisse oublier qu’après tous nos combats,
Un bon Père est là-haut qui nous tend les deux bras.
J’ai souffert par mon roi, mon époux et ma fille,
Tous les persécutés devinrent ma famille,
Et si, malgré ma plainte implorant le pardon,
Tant d’infâmes bûchers flambèrent sous ton nom,
Tu sais qu’avec les pleurs que je n’ai pu contraindre,
J’étais prête à donner mon sang pour les éteindre.
Pour tant de désespoirs, de luttes, de sanglots,
Que t’ai-je demandé ? Quelques mots, quelques mots.
La soif de te connaître a dévoré ma vie.
Pourquoi ne veux-tu pas condescendre à l’envie
Dont nous périssons tous en ces temps inhumains
Où l’on ne prêche plus que torche ou glaive en mains,
Chacun croyant prouver ta gloire et ta justice
Par le nombre de ceux qu’il envoie au supplice.

Parle donc, parle donc ! Dis-nous la vérité,
Ne laisse plus tes fils douter de ta bonté ;
Et, puisque cette enfant, ma compagne fidèle,
Va rejoindre en ton sein, dans la vie éternelle,
Le trop long défilé de mes morts bien-aimés
Qui t’ont déjà porté mes désirs enflammés,
O Seigneur, permets-lui, permets-lui, je t’implore,
Je t’implore à genoux, de me redire encore
Ce qu’un balbutiement d’enfant, vague et confus,
M’avait bien murmuré jadis, mais que je crus
Illusion d’orgueil et pure rêverie,
Dis-moi qu’emprisonnée en cette chair pourrie,
Notre âme en sort gaîment, sûre de son réveil,
Et que la mort n’est rien qu’un bref et doux sommeils. »

Et voici qu’embrassant la mourante en sa couche,
Elle tâte son cœur, elle écoute à sa bouche,
Elle épie, elle invoque en ce corps déjà froid
Quelque frisson subit de plaisir ou d’effroi,
Un signe du départ, sinon une parole
A l’instant où l’esprit se libère et s’envole.
Ne lui disait-on pas que Jésus-Christ descend
Parfois des cieux lui-même et, d’un bras caressant,