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On y arrivera donc, et l’organisation défensive de ce nouveau « Deutschewerke » se complétera de tous les moyens, de tous les procédés accessoires que nous voyons mettre en œuvre sur l’Aisne, sur la Lys, sur l’Yser, depuis les fils de fer barbelés jusqu’aux projecteurs électriques. Le plus difficile, en 1914 (ou 1915) comme en 1864, sera de parer au danger résultant de la congélation des marécages de la Treene, à l’aile occidentale, et des lacs allongés de la Schleï, à l’aile orientale. Mais peut-être l’attaque contre laquelle on se prémunit ne viendra-t-elle qu’au printemps ? La guerre sera longue…

Comment et par où, exactement, arrivera l’adversaire ? Débarquera-t-il dans le Jutland, en terre danoise, sans demander l’agrément d’un gouvernement qui, ayant concentré dans la Séelande la presque totalité des forces de la monarchie, serait sans doute fort empêché de s’opposer a une descente ? Non assurément : on peut compter sur les scrupules de nations qui ont le respect de la faiblesse et pour qui les traités sont autre chose que des chiffons de papier. Cette éventualité, dont la réalisation serait fort gênante, est donc à écarter. Reste le débarquement dans le Schleswig même, soit du côté Baltique, si favorable par ses fjords, ses presqu’îles, ses eaux profondes et presque toujours calmes, soit du côté de la mer du Nord, où toute opération devient difficile dans le dédale d’îles basses que des bancs de sable vaseux, coupés de chenaux sinueux, relient à la terre ferme. Il n’y aurait donc point d’hésitation sur le choix que feraient les Alliés, — ou les Anglais tout seuls, — si l’accès des côtes orientales du Schleswig n’était commandé par le Grand Belt et le Petit Belt, de si facile défense pour les Allemands, même s’ils n’avaient pas été minés déjà par les Danois. Comment supposer qu’une grande flotte de guerre et un immense convoi veuillent se risquer, en présence des escadres débouchant du canal de Kiel, soit dans l’étranglement de Frédéricia, soit dans celui d’Agersö, où un coude fâcheux et des courans perfides ont si souvent jeté les cuirassés germains sur le banc de la Vengeance ? Et de l’autre côté, est-il plus vraisemblable lue cette formidable Armada, battue par les vents d’Ouest et par les flots rageurs du Deutsche bucht, se laisse acculer à des « tiefen » indécis, dépouillés de leur balisage et si étroits qu’une force navale qui s’y engagerait ne serait pas assurée de pouvoir faire volte-face, au cas de péril pressant sur ses derrières ?