Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/780

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Joubert, alors assez loin de ses idées religieuses, n’approuve-t-il pas les Otahitiens qui « ne se figurent point après la vie et ne désirent point un plus grand bonheur que d’habiter une autre Otahiti et de s’y nourrir éternellement de fruits à pains et de gorces qui n’auront pas besoin d’être préparés aux feux ? » Rêverie païenne ; et rêverie de l’âge d’or !

Rêverie païenne encore et dans laquelle des réminiscences de Lucrèce ont pris le tour de la science moderne. Les îles où est allé Cook sont, quelques-unes, volcaniques et l’on y aperçoit les indices des catastrophes géologiques : la terre périra… « Cette idée que la terre périra est affligeante. Parmi nos idées journalières et communes, il n’en est aucune qui puisse nous en consoler. Mais une idée, extraordinaire comme la première, peut nous guérir de ce chagrin : c’est la considération du tout. C’est la connoissance des astres et de leur nature. L’homme trouve dans ces connoissances une force qui lui fait supporter avec tranquillité le sort de la planète. S’il faut que tu périsses, habitation de nos enfans et de nos pères, tous ces corps plus beaux et plus éclatans que toi subsisteront du moins. L’élément du feu dont le soleil est le foyer ne peut pas non plus périr, il l’absorbera par une attraction dont on a calculé la puissance et, réchauffé par cette action, tu rejailliras de nouveau du corps du soleil avec les germes des espèces que tu renfermes et qui ne peuvent pas être perdus. Tu refairas ton cours, tu reprendras ta place et tu recommenceras ton destin. » Joubert atout à fait, pour le moment, abandonné les dogmes chrétiens ; son idée du monde est conforme aux théories des physiciens matérialistes.

Son idée de la société repose tout entière sur l’idéal du bonheur. Les insulaires que les voyages de Cook lui ont révélés sont les hommes les plus heureux du monde ; et leur vie est organisée en vue seule du bonheur. On fera des objections. Joubert réplique : « Ce n’est pas le désir des vrais biens qui déprave l’homme, mais le désir de ceux qui sont faux. Jamais aucun peuple ne s’est corrompu pour avoir du bled, des fruits, un air pur, des eaux meilleures, des arts plus parfaits, des femmes plus belles, mais pour avoir de l’or, des pierreries, des sujets, de la puissance, un faux renom et une injuste supériorité… » Joubert examine les conditions qui facilitent le bonheur des Otahitiens. Il y a « la qualité de leur terroir, » qui