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n’avaient subi aucune restauration. En quel lamentable état est aussi le chef-d’œuvre de Bernard de Soissons, la merveilleuse rosace qui venait d’être consolidée à grand’peine ! Mais quelle joie de retrouver encore des morceaux qui n’ont pas souffert, comme le Couronnement de la Vierge au portail central et, sur la face septentrionale, l’admirable Jésus bénissant, rival du Beau Dieu d’Amiens. Pourvu qu’avant d’abandonner les rives de l’Aisne, les vandales ne veuillent pas parachever leur œuvre…

Mais le temps presse, et je tiens à présenter mes hommages au vénérable docteur Langlet dont la conduite restera légendaire. Depuis le 4 septembre, jour où les Allemands entrèrent à Reims, il n’a pas quitté sa mairie, en imposant à l’ennemi par la tranquillité de son courage, puis, pendant les terribles semaines du bombardement, assurant les services municipaux et le ravitaillement. Quand les obus tombèrent trop fort sur l’Hôtel-de-Ville, il fit simplement descendre son bureau dans le sous-sol. Un Rémois me dit qu’il n’eut jamais d’émotion plus poignante qu’en voyant dans cette cave, à la faible lueur de quelques bougies, l’admirable vieillard continuer paisiblement à administrer sa ville, donnant à tous l’exemple du devoir civique, plus difficile parfois à remplir que le devoir militaire, parce qu’il n’est pas toujours comme lui précis et impérieux.


J’ai réservé pour Valmy ma dernière journée dans la Marne. : L’ami, — haut fonctionnaire du département, — qui veut bien m’y conduire, m’a donné rendez-vous à la préfecture, ancien hôtel de l’intendance de Champagne, dont les lignes ne manquent pas de noblesse. Pendant l’occupation de Châlons par les Allemands, le palais, absolument respecté, ne servit même pas aux officiers de l’état-major. Des affiches imprimées, — j’ai vu l’une d’elles encore collée sur une porte, — en défendaient rigoureusement l’entrée, ce qui semble bien confirmer l’intention prêtée au Kaiser de venir y loger ; malheureusement pour lui, notre offensive victorieuse jeta bas ce projet, comme tant d’autres.

Pendant que l’auto fait son plein d’essence, je vais voir, au premier étage de la préfecture, la petite chapelle qui renferme, dans une sorte d’alcôve toute lambrissée de boiseries blanches