haut ce qu’il convoitait, ce qu’il espérait, de mettre à nu l’àme prussienne, à une époque où elle avait encore la pudeur d’elle-même. On lui a fait payer ce cynisme par la conspiration du silence. Peut-être aussi ses compatriotes n’étaient-ils pas mûrs pour le comprendre :
Ton siècle était, dit-on, trop jeune pour te lire :
Le nôtre doit te plaire, et tes hommes sont nés.
Mais il savait bien, lui, qu’il était profondément allemand : « ce livre si allemand, » écrivait-il, à propos de Humain trop humain. Sans cesse, il fut hanté par le souci de l’avenir de son pays, et, lorsqu’il publia ses premières brochures, son ami Overbeck, qui les signalait à l’historien Treischke, pouvait les lui recommander en ces termes : « Je suis sûr que tu discerneras, dans ces considérations de Nietzsche, le plus profond, le plus sérieux, le plus instinctif dévouement à la grandeur allemande[1]. »
Enfin, trait significatif, qui achève la physionomie de l’Allemand moderne (et peut-être de tous les temps), Nietzsche avait le sens de la dissimulation : il recommandait la tromperie comme une excellente arme de guerre et d’avant-guerre. Autant que le public réfractaire à l’écrivain novateur, la proie désignée du peuple conquérant veut être abusée par de faux semblans. Avec sa dure et toujours un peu grossière ironie à la prussienne, l’auteur de Zarathoustra a écrit quelque part : « Il est sage pour un peuple de laisser croire qu’il est profond, qu’il est gauche, qu’il est bon enfant, qu’il est honnête, qu’il est malhabile ; il se pourrait qu’il y eût à cela plus que de la sagesse, — de la profondeur. Et enfin, il faut bien faire honneur à son nom [quand on est allemand] : on ne s’appelle pas impunément das Teusche volk, — le peuple qui trompe[2]. »
À quel point Nietzsche nous a trompés et bernés, nous autres bonnes gens de France (à peu près comme Frédéric II trompa et berna Voltaire), c’est une chose stupéfiante, et que,