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NIETZSCHE ET LA GUERRE

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En face de la Baie des Anges, « sous le ciel alcyonien de Nice, » comme il disait, Nietzsche écrivait, en 1886, dans la préface d’un de ses livres : « Qu’il puisse, un jour, y avoir des esprits libres de ce genre (les surhommes) ; que notre Europe aura parmi ses fils de demain et d’après-demain de pareils joyeux et hardis compagnons, corporels et palpables, et non pas seulement, comme dans mon cas, à titre de schémas et d’ombres, jouant pour un anachorète, c’est ce dont je serais le dernier à douter. Je les vois dès à présent venir lentement, lentement, et peut-être fais-je quelque chose pour hâter leur venue, quand je décris d’avance sous quels auspices je les vois naître, par quels chemins je les vois arriver[1]. »

Or ces joyeux et hardis compagnons, qui doivent, par leur venue, bouleverser le monde, à quels signes les reconnaîtrons-nous ?

À des signes infaillibles, dit Nietzsche, les signes auxquels se reconnaissent toutes les aristocraties, qu’on trouve dans celles du passé et qu’on retrouvera certainement dans celles de l’avenir : « Ces hommes, qui, inter pares, sont tenus si sévèrement dans les bornes par la coutume, le respect, l’usage, plus encore par une surveillance réciproque et la jalousie, qui, même dans leurs rapports entre eux, sont si inventifs en égards, en domination de soi, en fierté, délicatesse, amitié, — ces mêmes hommes se montrent au dehors, là où l’étranger commence, pas beaucoup meilleurs que les bêtes fauves déchaînées. Ils jouissent

  1. Humain trop humain, préface, p. 8.