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avoir rapidement, par sa présence et ses énergiques décisions, rétabli l’ordre dans le Vilayet d’Aïdin et le sandjak de Tchataldza, s’est rendu dernièrement, dans le même but, dans la région d’Aivali et d’Erémit, et des dépêches de lui, qui ont été rendues publiques, dénotent que présentement l’ordre règne de la façon la plus absolue et que dans le passé rien ne fut commis ni mis en pratique, qui justifie, à quelque degré que ce soit, l’emploi des mots excès et persécution. »

Pendant que la presse européenne enregistrait ces affirmations, voici ce qui se passait dans la réalité. Je commence par les faits dont j’ai été témoin oculaire.

Après avoir séjourné à l’ancienne Phocée en septembre et octobre 1913, je m’y suis installé de nouveau le 26 mai dernier. La vie la plus paisible, la plus heureuse, s’épanouissait parmi les senteurs des rosiers et des jujubiers ; l’entente la plus parfaite régnait entre Turcs et Grecs ottomans. Aucune provocation, aucune molestation n’avaient interrompu le cours de l’existence calme et souriante de cette brave population, qui me faisait un accueil joyeux. Les travaux avaient commencé sous d’heureux auspices et promettaient d’excellens résultats.

Le jeudi 11 juin, au matin, j’étais occupé à surveiller un chantier de fouilles situé dans une vigne, près du chemin qui mène de Smyrne à Phocée, quand je vois la route se couvrir d’une longue théorie de paysans portant quelques hardes et s’enfuyant vers la ville, le visage contracté par la peur, et faisant des gestes éperdus. Je les interroge. Ce sont des Grecs ottomans des environs ; leurs villages, qui reposent au soleil, au flanc des collines, dans l’intérieur, jusqu’à une vingtaine de kilomètres de Phocée, ont été attaqués par des bandes de Turcs ; un grand nombre ont été tués ou blessés, les survivans se hâtent vers la mer, ou viennent nous demander asile. Les femmes allaitent leurs enfans en marchant, des vieillards sont juchés sur le dos des jeunes gens, quelques ânes portent de misérables ballots. La procession lamentable s’égrène jusqu’au soir. La panique gagne notre ville. Le Conseil des Anciens se réunit et décide d’envoyer en secret un messager à Smyrne, pour donner l’alarme et quérir du secours.

Le lendemain, à dix heures du matin, je mettais au point, à ma fenêtre, mon journal de fouilles, quand j’entends des cris ; j’aperçois sur la grève un flot humain se précipiter sur les