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aurait fallu, pour nous imposer silence, que l’Alsace et la Lorraine eussent accepté leur incorporation à l’Allemagne, et, en 1914, elles en étaient plus éloignées que jamais.

En vain les amis de la paix essayaient-ils de concilier ce qui était inconciliable : ils comprenaient ce qu’avait de périlleux la situation d’un pays pacifique accolé à un pays guerrier. Aussi, au moment où la discussion de la loi de trois ans s’est ouverte, ont-ils tous jugé que cette durée de trois ans était nécessaire, et que les propositions de désarmement, voire de moindre armement, avant que l’arbitrage obligatoire fût accepté par l’universalité des gouvernemens, étaient absurdes et même coupables. « Derrière le rideau d’une armée invincible, disait M. Léon Bourgeois, nous instituerons l’arbitrage obligatoire. » « N’intervertissons pas les termes, ai-je répété cent fois ; ne disons pas : le désarmement d’abord, et la justice après. Ce serait une colossale erreur, et une imprudence sans excuse ; disons : la justice d’abord, et le désarmement après. »

Et qui donc s’est refusé à la justice, — c’est-à-dire à l’obligation de l’arbitrage, — sinon l’Allemagne et l’Autriche, suivies de la Turquie ? Ce sont ces trois gouvernemens, qui, à la dernière conférence de La Haye, ont seuls mis leur veto à l’institution d’un tribunal international obligatoire. Ils voulaient garder les mains libres pour la guerre, cette épouvantable guerre qu’ils ont déchaînée.

Quant à nous, nous avons toujours, associé la paix et la justice. Jamais nous n’avons cru possible de créer une société qui ne fut pas fondée sur la souveraineté du droit. Et nous prenions comme devise cette fière parole que, dès les premiers jours de la Révolution, Mirabeau jetait aux peuples éblouis : « Le droit est le souverain du monde. »

La France a été pacifique, puisque, pendant quarante-trois ans, elle a maintenu la paix ; mais elle n’a jamais consenti à sacrifier le droit.

Certes, quand nous cherchions à éviter la guerre, féconde en douleurs et en misères, nous savions que, dans les conditions actuelles, la paix définitive était impossible. Comment croire à cette paix, quand la volonté nationale de peuples généreux est foulée aux pieds ? Metz et Strasbourg à l’Allemagne ; Trieste et Trente à l’Autriche ; la Pologne écartelée ; trois millions de Roumains et deux millions de Serbes séparés de leur patrie, et