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éteint le feu sacré. On parle surtout de la poursuite qui a suivi les batailles de la Marne :

« Des Alboches, on en trouvait partout, même au bout de plusieurs jours : dans un grenier, dans le foin, derrière les haricots. Il y en a de petites bandes plein les bois. Ils sortent, la nuit, pour attraper des betteraves, des carottes, des pommes. Nous entrons dans l’église d’un village abandonné. Il y en avait un pauvre vieux, les cheveux tout gris. Le voilà qui se met à genoux, faisant signe qu’il a trois enfans. On l’emmène, on le traite comme nous.

« Une autre fois, — c’était une tranchée, — il y en avait beaucoup de morts, et quatre vivans ; ils mouraient de faim. Ce qu’ils se sont jetés sur notre pain !… Une autre fois, nous étions seulement quatre. On trouve quinze Allemands. Ils jettent leurs fusils et l’un d’eux explique en français qu’ils veulent être prisonniers, qu’ils n’ont pas mangé de trois jours, qu’ils en ont assez d’une guerre pareille ! » — Ce dernier trait est universel, et je l’ai entendu vingt fois. Les Allemands encadrés tiennent bon, comme un mur épais ; dispersés, ils ne songent qu’à se rendre, surtout s’ils ont faim.


23 septembre, soir.

Ma chambrée d’hier m’a fait une jolie surprise. Ce n’est pas deux, mais dix qui sont venus à la messe ce matin, tous ceux qui pouvaient se lever. Jugez de ma satisfaction ! Aussi les ai-je salués, après l’Évangile, d’un petit sermon de trois minutes qui eut l’air d’aller à leur cœur, aussi droit qu’il partait du mien.

Nouvel enterrement, cet après-midi, d’un Anglais protestant et d’un Français catholique. Au cimetière, un rédacteur de Neuilly-Journal a prononcé un excellent discours d’union patriotique ; il a montré, en terminant, la consolation vraie dans l’éternité de bonheur que Dieu accorde aux martyrs du devoir., Je n’ai pu m’empêcher de m’associer de quelques paroles à ce qu’il avait dit. En temps de guerre, décidément, toutes choses vont d’une autre allure, et quelques-unes beaucoup mieux.


24 septembre.

Nous avons reçu, aujourd’hui, la visite de Son Eminence le cardinal Amette. Le président et les membres du Comité lui ont