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et si, restés à notre propre école pour atteindre, à travers la multitude des contingences, les idées maîtresses et dégager des phénomènes les lois, nous aurions fait notre profit de ce que l’Allemagne a de supérieur à nous. A notre tour nous pouvions lui donner quelque chose. Et dans cet échange où l’Allemagne apportait plus de disciplines et la France plus de fécondités, nous eussions pu dire sans jactance que la France demeurait la part la plus belle, celle de la création.

Au contraire, c’est au moment où débordait le mépris de l’Allemagne pour nous, que des nôtres sont devenus le plus idolâtres d’elle, le plus impatiens de s’offrir à son hégémonie intellectuelle, le plus impatiens de sacrifier nos œuvres, nos aptitudes, nos méthodes à son infaillibilité, le plus fiers d’ajouter à la trahison de nos armes une servitude volontaire. Ces infidèles ne furent pas seulement des particuliers, et leurs infidélités une défaillance individuelle, la fascination opéra sur la collectivité, sur les gardiens officiels de notre intelligence nationale, et trop de ceux qui enseignaient au nom de la France firent régner dans leurs chaires l’Allemagne. Ce courage d’admiration à un tel moment serait inexplicable, s’il n’avait eu la force d’une habitude déjà ancienne, entretenue chez les uns par des cultes scientifiques, chez les autres par les goûts littéraires, chez certains par des préjugés irréligieux. Ce sont nos philosophes du XVIIIe siècle qui les premiers avaient appelé « grand » Frédéric II ; les succès d’un peuple préparé par l’athéisme de son maître à la libre pensée menaçaient en Europe la prépondérance catholique, et les incrédules d’alors armaient l’Etat qui, fût-ce aux dépens de la France, satisfaisait, en abaissant l’Eglise, la plus violente de leurs passions. Après 1870, la guerre où l’Allemagne avait établi son hégémonie par les armes se continuait par une guerre intérieure où l’Allemagne, prétendant défendre sa culture contre le catholicisme, devenait ainsi le modèle des Français résolus à entamer la lutte contre la foi religieuse de leur patrie.

Les résultats ont jugé cette émancipation qui nous détachait de notre nature pour nous subordonner aux initiations d’une race étrangère. Le plagiat intellectuel a valu le plagiat religieux. Et quelque espèce de connaissance qui ait été adaptée par nous des méthodes allemandes, elles ont accru la charge de notre travail et en ont diminué le discernement. Notre don inné de