Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/591

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a l’emprunt, et cet emprunt vraiment colossal s’élève à 350 millions de livres (8 milliards 750 millions de francs). Jamais emprunt pareil ne s’était vu ; mais quoi ! le gouvernement anglais parle d’envoyer sur le continent des armées de 2 millions, de 3 millions d’hommes s’il le faut. Crédits et emprunt ont été votés à l’unanimité. Ce sont là des faits tout nouveaux dans l’histoire du monde. Personne ne les avait prévus et l’Allemagne moins que personne. Un formidable orage s’amoncelle contre elle : de violens coups de foudre en sortiront lorsque ses armées, déjà si éprouvées, commenceront à être épuisées. Nous demanderons toutefois à l’Angleterre de se presser le plus possible. Garantie, au moins jusqu’à présent, contre l’invasion par le ruban d’argent qui l’entoure, elle a toujours eu le temps de se préparer et elle s’y est hâtée rarement ; mais elle a affaire à un ennemi dont la préparation militaire est achevée et portée au dernier état de perfectionnement. Nos armées dans les Flandres en savent quelque chose ! Cent mille hommes qui viendraient les renforcer aujourd’hui vaudraient le double ou le triple de ce qu’ils vaudraient dans trois mois.

Les conditions de la guerre sur la frontière germano-russe sont différentes. La Russie n’est pas embarrassée pour trouver des hommes autant qu’il lui en faut : ceux qui tombent sont aussitôt remplacés, et derrière eux, il y a des réserves dont il est difficile de sonder la profondeur. C’est déjà là pour la Russie une force peut-être décisive, mais elle en avait une autre dans l’audace et l’habileté dont ses généraux ont l’ait preuve, sous la direction suprême du grand-duc Nicolas, qui a révélé du premier coup les qualités d’un véritable homme de guerre. Les admirateurs attitrés de l’Allemagne dépréciaient naturellement l’armée russe : tout en reconnaissant l’avantage que lui donnait sa supériorité numérique, ils affectaient de dire que, du côté allemand, celle du commandement était si grande qu’elle emporterait tout. C’était, à leurs yeux, une vérité à ce point évidente qu’elle n’avait pas besoin d’être démontrée. Nous attendions cependant l’épreuve des faits, la seule qui compte ici, et, autant qu’on en puisse juger dès maintenant, cette supériorité du commandement allemand ne s’est encore manifestée nulle part avec l’éclat qu’on avait annoncé. Il est toujours dangereux de trop dédaigner ses adversaires : c’est ce qui est arrivé aux Allemands. Ils ont cru qu’ils arriveraient toujours à temps sur les champs de bataille de l’Est et qu’ils pouvaient laisser seuls à seuls les Russes et les Autrichiens, pendant qu’ils accableraient eux-mêmes les Français et qu’ils prendraient Paris en